Rwanda, quel champ de questions sur l'attentat ?

A propos d'un article publié dans le club de Médiapart et dont les commentaires sont fermés par l'auteur.

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Dans le club de Médiapart on trouve à la date d'hier un article intitulé sous ce lien : « LES ETATS-UNIS ET LE RWANDA GÉNOCIDAIRE ».

L'auteur de cet article, toujours très alerte pour éloigner ses lecteurs des "hypothèses" de la responsabilité de l’État français dans le génocide des Tutsi, s'interroge à nouveau avec l'appui d'un livre, sur les raisons de la présence de soldats états-uniens au Burundi voisin au moment de l'attentat du 6 avril 1994 au Rwanda.

Son questionnement insinue que cela dénote une collaboration probable des USA, de l'Ouganda et du FPR à l'attentat. Cela ne correspond certes pas aux conclusions des juges français Trévidic et Poux dont l'enquête balistique oriente clairement vers un tir depuis le camp militaire du régime Hutu Power et devrait conduire l’ordonnance du juge Bruguière à la corbeille. De plus, de façon qui semble très militante, il restreint le champ du questionnement et oublie une première autre hypothèse : les renseignements des Etats-Unis avaient peut-être connaissance de l'imminence de l'attentat. Ils se sont donc peut-être positionnés pour intervenir le plus vite possible si cela s'avérait nécessaire pour leurs intérêts.

Les renseignements occidentaux sont souvent beaucoup mieux informés qu'ils ne le disent et évitent probablement de trop ébruiter leur efficacité, car elle se repaît d'un "secret" obsessionnel.

Nous avons appris par exemple, selon des témoins civils, qu'en 1990, année où se décidait l'engagement dans la coopération française au Rwanda de l'auteur de l'article cité, l'ambassadeur de France accueillait les coopérants civils français en les informant qu'une attaque du FPR risquait de se produire prochainement. Les autorités françaises avaient-elles sélectionné le profil de ce coopérant militaire en relation avec cet événement attendu ? Toujours est-il que le renouvellement du poste de son prédécesseur, après une vacance de quelques mois, l'a fait arriver au Rwanda quelques jours avant l'attaque du FPR du premier octobre 1990.

Autre manifestation des capacités de renseignements occidentaux, on se rappelle aussi que l'ancien gendarme du GIGN Paul Barril avait effectué une mission au Rwanda au début de 1990 qualifiée d'audit et que sa présence au Rwanda au moment de l'attentat du 6 avril 1994, affirmée par des témoins, pose des questions que ses interventions ultérieures dans l'enquête du juge Bruguière ne risquent pas de dissoudre.

D'ailleurs avec son style goguenard habituel, Paul Barril écrivait sur la page d'accueil de son site internet professionnel, quand il était encore en activité, qu'il se trouvait " sur une colline quelque part au centre de l'Afrique" au moment de l'attentat "déclencheur" du coup d’état Hutu Power et du génocide des Tutsi.

Rappelons aussi que le gouvernement génocidaire, bénéficiaire du coup d'Etat et dont les deux tiers des ministres furent condamnés pour génocide par le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), fut constitué à l'ambassade de France en présence de l'ambassadeur.

N'oublions pas encore l'homme de l'ombre de François Mitterrand, François de Grossouvre, qui "s'est suicidé" à l'Elysée (!) le lendemain de l'attentat. J'ai plusieurs fois lu que la dernière personne à être entrée dans son bureau, avant qu'on le trouve mort, était un gendarme qui lui apportait un courrier. Colette Braeckman, journaliste belge spécialiste de l'Afrique au journal Le Soir, affirma que ce jour-là François de Grossouvre se serait exclamé au téléphone "les cons ils n'ont pas fait ça". Paul Barril prétend, dans un rush du film "Tuez-les-tous", qu'il était son intermédiaire entre Mitterrand et lui-même sur la question du Rwanda. Dans son livre Paul Barril affirme que François de Grossouvre a été assassiné.

Autre élément de questionnement, dans un article du Populaire du Centre (Limoges) du 30 novembre 1996, où l'on relate l'interview d'un lieutenant-colonel de la gendarmerie française(1), qui, vu son nom, doit être l'auteur de l'article cité en exergue, on affirme que "deux de ses hommes" et l'épouse de l'un d'eux ont perdu la vie au Rwanda.

Il ne peut s'agir que des gendarmes Didot et Maïer et de l'épouse de Didot(2)  assassinés quelques heures après l'attentat "déclencheur" du coup d’état Hutu Power et du génocide des Tutsi. Ce sont les seuls gendarmes français dont nous connaissons la mort au Rwanda en 1994. Ces gendarmes assassinés étaient des spécialistes des écoutes radios selon des journalistes qui ont informé sur leur mort, mais ils étaient radio-amateurs selon la version officielle française. Ils habitaient près de la zone gouvernementale de Kigali où se trouvait aussi le CND lieu choisi pour abriter un contingent de soldats du FPR à la suite des accords d'Arusha et arrivés là en janvier 1994 sous la houlette de la MINUAR (Mission de l'ONU). Étaient-ils des hommes du renseignement français ? Et pourquoi le journaliste les présente dans l'article du Populaire du Centre comme étant sous le commandement du lieutenant-colonel interviewé ("deux de ses hommes"), alors qu'officiellement en 1994 lui n'était plus au Rwanda ?

Un personnage central français de la connaissance des faits concernant le Rwanda a un comportement étrange sur la question de l'attentat. Il en traite toujours comme s'il n'était pas mieux informé que le citoyen lambda. Il a émis à ma connaissance deux opinions contradictoires sur les auteurs de l'attentat (Hutu Power avant le livre de Péan et FPR ensuite) et émis toute une série d'hypothèses dans un article de Politis en juillet 2009. Venant de sa part, la plus étonnante de ses hypothèses est que cela aurait pu être l’œuvre de "mercenaires français" !

  • "Il est possible que des mercenaires français, ou autres, aient été mêlés à cet attentat (on a parlé de Belges ou d’Israéliens), mais je n’en sais rien, et l’on ne peut donc pas ­sur­interpréter cela."

Il s'agit d'Hubert Védrine, secrétaire général de l'Elysée à l'époque et donc à priori la personne la mieux informée de France sur les questions sensibles, et qui semble dire peu importe l'auteur, puisque, sous-entendu, cela doit rester un point secondaire.

Enfin il est connu par la mission d'information parlementaire française sur la "tragédie du Rwanda" qu'un officier français, aujourd'hui haut gradé dans l’état-major, s'est rendu plusieurs fois sur le lieu du crash de l'avion à partir du 6 avril 1994 dans le quart d'heure qui a suivi l'attentat. Il écrit aux députés qu'il s'est seulement occupé des corps de l'équipage français. Ce n'est pas crédible, d'autant plus que des témoins, dont la famille Habyarimana, l'ont vu chercher "la boite noire" - sans doute aussi des débris ou des traces de missiles. Le crash eut lieu dans la propriété d'Habyarimana. J'ai pu encore observer l'épave de l'avion il y a quinze jours. Elle fait désormais curieusement partie d'un musée de l'art installé dans la propriété. Comment imaginer une telle faute professionnelle d'un officier qui, en de telles circonstances, n'aurait pas prélevé des pièces à conviction de l'attentat sur un avion fabriqué en France, mis à disposition par la France et piloté par un équipage français, payé par la France ? La mission des nations unies fut interdite d'accès au lieu du crash selon son commandant, le général Roméo Dallaire.

Tout cela augmente sérieusement le champ de questions sur l'attentat, non exhaustives, certainement beaucoup plus que ne semble le souhaiter l'auteur de l'article du club de Mediapart mis en exergue et fermé à la discussion.

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(1) On remarque au passage que ce lieutenant-colonel français "décrypte le conflit rwandais", selon le titre du Populaire du Centre deux ans après le génocide des Tutsi, sans dire un seul mot important du génocide au journaliste puisque celui-ci n'en parle pas. De plus il charge les Tutsi de caractéristiques dominatrices, "le grand éléphant Tutsi" ,  "rien ne semble pouvoir refréner leur ambition", écrit l'interviewer entre guillemets. Cela rappelle des caractéristiques que l'extrême droite française attribuait à une catégorie de la population française victime d'un génocide lors de la deuxième guerre mondiale, et alors que la majorité des Tutsi vient d'être exterminée dans un génocide dans un pays qu'il qualifie d' "autoritaire mais pas sanguinaire". On voit la distance de ce "décryptage" avec la réalité encore fraîche du génocide des Tutsi. On comprend bien que l'on cherche à se servir du démantèlement des camps de génocidaires Hutu au Zaïre par le FPR en 1996, qui mettra par terre les plans de reconquêtes du Rwanda, que la France soutenait encore, pour disqualifier "les forces Tutsies" selon l'expression de l'amiral Lanxade, chef d’état-major de l'époque, pour qualifier le FPR, déjà avant le génocide des Tutsi.

(2) Jacques Morel analyse longuement dans son livre les faits connus de ces assassinats de gendarmes français, qui comportent de nombreux éléments troublants. Pierre Péan, qui se disait "journaliste d'initiative" affirme que c'est le FPR qui les a assassinés. Le plus surprenant dans cette affaire est ce que disent les familles de ces gendarmes à propos du comportement bizarre de l’État français avec eux. On retrouve d’ailleurs ce comportement bizarre avec les familles des pilotes de l'avion, qui étaient français.

PS : J'ai fermé les commentaires le 5 octobre 2019 (quand l'article était dans le club de Mediapart)  car ils n'étaient qu'une attaque de tonalité négationniste de deux "apôtres" de la France au Rwanda dont on se demande pourquoi ils sont si virulents et si haineux sur un tel sujet. Une telle virulence renforce mon intime conviction que des Français sont mêlés à cet attentat. Mais l'intime conviction n'est pas une preuve.
Pourquoi je parle de négationnisme ? parce que quand on leur parle de témoins rwandais du génocide, ils vous accusent "d'instrumentaliser" leurs souffrances à des fins politiques. C'est "curieusement" le terme qu'Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, avait employé en 2001 pour expliquer qu'au Rwanda il ne s'inclinerait pas devant un mémorial du génocide des Tutsi : il ne voulait pas "céder à l’instrumentalisation du génocide".
A mon avis certains Français ont mauvaise conscience devant des rescapés et ne veulent pas en entendre parler en se protégeant avec des arguments abjects, du style "les tutsi sont menteurs", ils instrumentalisent le génocide", etc. Vous imaginez le tollé, à juste titre, s'il s'agissait de la Shoah ? On n'a pas encore entendu : ils instrumentalisent l'implication française, sans doute parce que ce serait la reconnaître implicitement. J'ai parfois l'impression que certains instrumentalisent peut-être le génocide des Arméniens et la Shoah pour corriger l'image de leur négationnisme du génocide des Tutsi. Ce négationnisme, qui commence quand on "minimise" ou "banalise" le génocide, est illégal en France, selon la loi française de janvier 2017 (Article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, modifié par LOI n°2017-86 du 27 janvier 2017 - art. 173)

 

 

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