France / RDC / Rwanda : Le colloque de Védrine au Sénat

Au Sénat français en mars 2020, un colloque très controversé sur "l'Afrique des Grands lacs" fut annoncé en brandissant qu'il aurait été parrainé par le Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix. C'était faux, une "fake news."

 

Ce colloque fut présenté ainsi, selon la personne qui m'a communiqué le document (j'ai barré et annoté l'information erronée) :

Malheureusement pour eux, le Docteur Mukwege refusa ce parrainage au motif, selon son équipe contactée par le journal La Croix, que ce colloque serait détourné par les militaires français qui veulent remettre en cause les accusations du Rwanda contre la France.

Malgré de nombreuses levées de bouclier, ce colloque eut lieu. L'intégralité de ce colloque est publié en vidéo sur Youtube. On peut constater, qu'à défaut du soutien du DR Mukwege, les organisateurs ont projeté un extrait de la vidéo de son discours lors de la reception de son prix Nobel :

La présentation de ces vidéos sur Youtube est particulièrement trompeuse, puisque celle de l'extrait du discours de prix Nobel du Docteur Mukegwe donne l'impression qu'il est intervenu dans ce colloque, auquel il a pourtant refusé de participer. La manipulation est claire. Continuer de présenter le Docteur Mukegwe comme drapeau de ce colloque, alors qu'il refusa d'y venir à cause de son orientation, fut profondément malhonnête. Néanmoins la force de son discours de prix Nobel, enregistré, aura, espérons-le, réveillé quelques consciences. Mais il ne semble pas avoir eu assez de puissance de conviction pour modifier certaines interventions intéressées de ce colloque. Ce n'est pas la première fois que des pourfandeurs du Rwanda tentent de racoler un prix Nobel à leur cause. Ils y sont arrivés en Espagne, avec Adolfo Peres Esquivel, à travers une vaste opération judiciaire, accusant une quarantaine de rwandais du FPR. J'ai l'impression que cette opération espagnole, réalisée à partir d'un fait réel identifié par la justice espagnole, fut probablement gonflée à l'instigation de Français pour que la justice espagnole la monte en neige dans la foulée de la campagne judiciaire de Bruguière en France. Ces deux campagnes se sont terminées par un fiasco juridique, en Espagne comme en France. En France, en effet, l'instruction s'est montrée incapable de dépasser un non lieu au profit des accusés rwandais du FPR, décision ultime attendue en juillet 2020, et de rechercher les véritables auteurs de l'attentat du 6 avril 1994.

Une matinée d'échauffement pour une journée allant de l'objectivité à la partialité la plus radicale

Une progression, savamment orchestrée, d'interventions de plus en plus douteuses. Il y aurait beaucoup à dire sur chacune d'elles.

Johan Swinnen, ancien ambassadeur belge qui a eu une action digne au Rwanda avant le génocide, a fait une intervention d'une très grande dignité et très pertinente. Hélas, son discours très pédagogique va s'oublier, au fur et à mesure des interventions, dans un marécage de plus en plus partial. On ne peut pas imaginer qu'il n'avait aucune conscience du contexte dans lequel il intervenait et on doit se demander s'il ne se sent pas chargé de rappeler quelques vérités, quelles que soient les circonstances et les personnes, pensant implicitement que rien ne peut entacher son discours. Un ambassadeur est rompu à l'intervention en contexte conflictuel.

Olivier Lanotte, un universitaire belge, est ici le plus objectif sur les faits de l'implication française (bien que je conteste fermement ses affirmations péremptoires et infondées pour disqualifier le témoignage de mon épouse dans son livre). Mais il n'ose pas tirer les conséquences de ses analyses probablement par politesse envers l'institution qui l'accueille ou par politesse envers la solidarité européenne. Mais globalement je dois souligner qu'il a eu un certain courage de dire ce qu'il a dit devant un tel public. Il a en effet dès le début de son intervention réfuté nettement l'idée négationniste du double génocide. Mais on peut avoir des réserves sur certains aspects de son discours, notamment sa présentation très édulcorée de l'opération Turquoise. On se demande pourquoi il se prête à ce jeu politique.

L'ambassadeur de France, Pierre Jacquemot, dit des choses intéressantes et réelles, par exemple sur le fait que c'est un miracle que le Congo soit encore entier après la deuxième guerre du Congo ou qu'est retombé sur les soldats de Turquoise l'exténuante et écœurante charge de s'occuper des cadavres abandonnés des personnes mortes du choléra. Mais il ne dit pas que ces soldats payaient ainsi injustement le désastre de la stratégie française, que leurs chefs n'assument toujours pas, et le délire sanguinaire des génocidaires rwandais largement soutenus pendant quatre ans, et au-delà, par la même stratégie. Lorsque cet ambassadeur profère avec beaucoup de sérieux une ou deux énormités est-il sincère ? Par exemple il se focalise sur le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi,  pour préciser que les flux de matières premières de RDC doivent géographiquement passer par ses voisins de l'Est vers les ports de l'océan indien, compte tenu des voies de communication du Congo. Il déduit du fait que le Rwanda transforme de la cassitérite et/ou de l'étain qu'il s'agit forcément de minerai obtenu illégalement. Quelle preuve? Car il est clair que ces transformations permettent aussi d'alléger les coûts de transport du minerai "exploitable" pour les clients en fin de chaîne. A ce sujet pourquoi oublie-il de dire que c'est pour que ce minerai soit exploités en bout de chaîne par les multinationales qui tirent les ficelles de cette situation ?  Son lapsus "made in Ghana" au lieu de "made in Rwanda" a -t-il une signification ? D'autre-part, pourquoi entretenir des chiffres aberrants sur la surmortalité au Congo avec des tournures de phrase qui laisseraient entendre que cela résulterait d'analyses démographiques, chiffres précisément contestés magistralement par les seuls démographes qui l'ont analysée comme on l'a vu dans cet autre article ?

L'historien congolais, Isidore Ndaywel, semble clarifier beaucoup de choses, mais prêche incidemment pour sa paroisse avec des arguments amusants, comme justifier l'étendue du Congo dans une partie du Rwanda actuel par le point de vue du colonisateur, et semble considérer le Congo actuel comme  venant du fond des âges. Mais il rappelle aussi qu'il est une construction purement coloniale ayant étendu le royaume Kongo bien réel de l'ouest du territoire à l'ensemble du bassin du fleuve Congo. Un peu comme si on étendait les Pays-Bas à l'ensemble du bassin du Rhin par exemple ou la Roumanie à l'ensemble du bassin du Danube. La colonisation belge sert à la classe politique de Kinshasa à justifier une main basse historique sur l'ensemble du bassin du Congo. Ils veulent bien du territoire et de ses mines, mais pas de ses habitants trop Tutsi ou autres, à l'Est du pays. Incidemment il contredit de façon inattendue l'idée que le Kivu se serait dépeuplé de millions d’habitants à cause de la surmortalité due à la guerre puisqu'il dit que la densité de population de l'Est du Congo s'est considérablement accrue ces trente dernières années, à cause notamment de l'immigration, dont les désinformateurs nous disent que l'ensemble de cette population  aurait été massivement massacrée par millions depuis 1996. Enfin il situe le coup d'Etat d'Habyarimana  en 1968 au lieu de 1973 (Il appelle ce coup d'état "défenestration de Kayibanda" ah bon ! - C'est peut-être une expression congolaise pour exprimer le fait confirmé qu'Habyarimana l'a laissé mourir de faim en prison en le privant de nourriture, de même que tout son gouvernement). Le mouvement M23, du 23 mars 2009, devient mouvement du 23 avril. Cela fait quelques à peu près pour un historien.

Védrine ouvrait la deuxième partie, la plus contestable

Convoquer quelques personnes, qualifiées de négationnistes par les spécialistes du génocide des Tutsi, et entendre Védrine faire comme si il n'était pas un des principaux inspirateurs de ce colloque unilatéral et orienté, puis s'offusquer lamentablement qu'on veuille leur interdire la parole, niant ouvertement l'existence du négationnisme, ce qui peut apparaître comme le summum du négationnisme, ne fait que souligner la perversité de la tentative de récupération du Docteur Mukwege. Il affirme des contrevérités sans vergogne. Par exemple, il feint d'oublier que le rapport Mucyo fut annoncé dès août 2004 en réponse à Michel Barnier et non pas à cause de l'ordonnance Bruguière de novembre 2006 comme il l'affirme. Quand on écoute le raisonnement de Védrine sur la politique de la France, selon lequel c'était une nécessité stratégique d'envoyer l'armée française contre le FPR pour le forcer à des négociations, il doit penser qu'il faut le harceler encore avec une propagande massive, des procédures judiciaires inventées, c’est ce qui s'est passé, pour l'obliger à renoncer à mettre en cause la France. C'est vicieux mais il dira que ne pas penser comme lui serait naïf. Cela ne l'empêche pas de dire ensuite qu'il s'est trompé sur Arusha (les accords de paix) parce qu'il n'avait pas pris en compte que les protagonistes ne voulaient rien lâcher. C'est typique des louvoiements de Védrine dans cette affaire. Mener l'offensive tout en cherchant à faire comprendre qu'il ne fait que suivre ceux qu'il entraîne derrière lui. Ne pas apparaître en première ligne pour ne pas se trahir, dire tout et son contraire par des expressions syncopées et allusives et surtout imprécises, laissant penser qu'il voit tout, pour toujours retomber sur ses pieds au moindre rebondissement en précisant alors ce qui est nécessaire. Il rappelle d'ailleurs qu'il déteste qu'on lui rapporte des faits précis et ponctuels pour rester dans la vision générale qu'il préfère. Il préfère en fait voir les choses de haut, c'est plus beau, comme en avion ! Bref le refus du réel du terrain, tout sauf de la sincérité, que du calcul. Ce n'est pas avec ça qu'on favorise la paix. Le génocide des Tutsi le démontre magistralement, hélas. C'est un échec cinglant de la stratégie française soutenue par Védrine.

Jean-Marie Vianney Ndagijimana est un Rwandais qui reconnaît n'avoir vécu au Rwanda qu'un tiers de sa vie, mais qui ne cesse avant tout de justifier la politique de la France au Rwanda, un autre tiers de sa vie, et de désinformer sur le génocide des Tutsi. Il était ambassadeur du Rwanda à Paris à partir de septembre 1990 et jusqu'au génocide; Il est en quelque sorte devenu "ambassadeur des autorités françaises" "autojoué" pour cette période et de la mouvance néo-génocidaire par ses prises de position depuis plus de 20 ans. Une curiosité rocambolesque dans ces mensonges goguenards quand même : ce monsieur conteste l'utilisation du terme Hutu power (par Olivier Lanotte avant lui dans ce colloque), alors que ce sont les Hutu génocidaires eux-mêmes qui ont revendiqué cette appellation.

Les autres intervenants sont du même acabit. Il serait un peu "longué" et vain de relater leurs désinformations habituelles. Pour la plupart, pour ne pas dire pour tous au cas où quelque chose m'aurait échappé, je n'ai trouvé aucun élément pour contredire les accusations de négationnismes jugées insensées par Védrine et stupides par Onana.

Ces autres intervenants disent tous la main sur le cœur qu'ils ne contestent pas le génocide des Tutsi (c'est devenu illégal de le dire en France depuis janvier 2017), même Onana !!! Il n'a pas toujours été aussi affirmatif ! Par exemple : «Entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsi, ni contre quiconque» Auguste-Charles Onana, LCI le 26 octobre 2019). Il vous expliquera sans doute pour sa défense, toujours très "malicieuse", selon l'admiration bêbête de Gérard Longuet, que les bornes de sa fourchette sont exclues. Ce serait habile, mais cela nierait de toutes façons, quelles que soient les bornes inclues, les massacres pré-génocidaires qui sont à inclure dans la planification du génocide (Tutsi Bagogwe, Tutsi du Bugesera, de Kibuye, de Gisenyi, etc). Surtout  il y a d'autres citations d'Onana qui impliquent qu'on doit inclure les bornes :  à la question dans un interview « Est-ce pour cette raison que vous considérez que le génocide est le plus grand mensonge sur l’Afrique ? » il répond «Tout à fait ! C’est l’un des plus grands mensonges et l’une des plus grandes manipulations de l’Afrique du XXème siècle. On nous a fait croire que le génocide du Rwanda avait été planifié par les Hutus». Auguste-Charles Onana, 15 septembre 2010 (avant 2017) sur le site des éditions Sources du Nil. «En 2014, date du vingtième anniversaire de la tragédie rwandaise ou du “génocide tutsi” comme la qualifie le régime de Kigali […] »Auguste-Charles Onana, thèse soutenue à l’Université Lyon III en décembre 2017, p. 299., on est après janvier 2017, Onana nomme le génocide des Tutsi entre guillemets, en soulignant bien par son style qu'il ne reprend pas cette expression à son compte !

Inutile de revenir sur ces personnages, si ce n'est pour souligner l’idolâtrie de Judi Rever pour Pierre Péan. Visiblement elle l'aimait beaucoup. Comme il est devenu illégal de nier le génocide des Tutsi en France, elle a inventé avec Péan que le FPR, qu'elle stigmatise d'être Tutsi, aurait organisé lui-même contre ses frères de l'intérieur, leurs massacres. Plus fort dans la bêtise tu meurs ! Son amour de Péan l'aveugle. Elle ne devrait pas l'exprimer à de telles fins politiques, même si sa souffrance est humainement respectable.

Une petite mention quand même pour Martin Fayulu, candidat floué aux présidentielles de RDC selon des observateurs et ses partisans, qui déplora avec insistance la présence de nombreux généraux Tutsi dans l'armée congolaise, alors qu'on n'aurait jamais vu cela avant, avec des relents ethnicistes inquiétants qui rappellent la propagande de haine contre la "domination Tutsi" dans la région, un des prétextes utilisés pour faire peur aux Hutu et les mobiliser contre les Tutsi pendant le génocide. Cela ne dissona pas avec les racontars des révisionnistes insensés présents et leur attitude belliqueuse contre le Rwanda actuel.

Nous devons donc nous interroger surtout sur l'absence à ce colloque des voix du Rwanda, du Burundi, de l'Ouganda, de la Tanzanie et du Kenya pour une manifestation voulant soi-disant travailler à la paix dans la région des grands lacs, alors qu'il s'agissait avant tout d'un colloque pour faire avancer l'auto-justification mitterrandienne et militaire française dans cette région.

Le véritable enjeu de ce colloque fut en effet clairement exprimé par les anciens ministres français présents. Il s'agissait pour eux d'être solidaires de l'armée française, qui fut envoyée dans une ornière gravissime par François Mitterrand au Rwanda. La question sous-jacente est comment sortir la France de cette impasse en utilisant les souffrances du Congo, et en utilisant le Rwanda qui a eu une action militaire, et donc  violente, pour empêcher les génocidaires rwandais de continuer de fomenter leurs projets génocidaires contre le Rwanda en se servant des Congolais. A l'époque, dès la fin du génocide (!),  nos militaires français avaient continué de livrer des armes aux génocidaires et les avaient entraînés dans le but de déstabiliser le Rwanda. Dans cet enjeu aujourd'hui, des Français utilisent des propagandes intensives surtout pour peser sur les travaux de la commission Duclert, dont ils craignent visiblement qu'elle serve de marchepied aux vérités sur l'implication de la France dans le génocide des Tutsi et donc à Kigali.

Je ne conteste donc pas que les Congolais subissent encore de façon calamiteuse les conséquences des errements politiques des pays occidentaux et de leurs voisins frontaliers. Mais je trouve choquant que des Congolais contribuent à ce que leur pays serve d'alibi malhonnête aux autorités françaises de l'époque. Cela n'aidera pas la construction réelle de ce pays sur lequel les centaines de peuples congolais, parlant 250 langues, qui se veulent un seul peuple selon Kinshasa, n'ont pas de véritable autorité.

Vous aurez un écho très intéressant de ce colloque par Jean-François Dupaquier qui a finalement pu y assister, et fait probablement partie des journalistes  refusés initialement. :

J'ai rassemblé sous le titre La traque française des Tutsi continue une série de 11 articles de Jean-François Dupaquier publiés de début avril à fin juin 2020 qui développent, avec une multitude de références et de "détails" détestés par Védrine, l'analyse de cette dérive désastreuse.

 

 

 

 

 

 

 

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