Rwanda : Complices de l'inavouable

"En 2004, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry faisait paraître un livre intitulé "L'inavouable La France au Rwanda".  Sa réédition en 2009 modifiait le titre en "Complices de l'inavouable La France au Rwanda", et la couverture portait les noms d'une trentaine de responsables civils et militaires français."

Extrait de Billets d'Afrique de l'association Survie d'Avril 2022 (y compris le chapeau ci-dessus) :

  • "Sept de ces officiers ont porté plainte en diffamation contre lui [Patrick de Saint-Exupéry]. En incluant les appels et les cassations qui renvoient à la case départ, plus d'une trentaine d'étapes ont marqué l'une des plus longues séries de procédures qu'ait connu la presse française. Le 15 février 2022, avec la victoire définitive en cassation de SaintExupéry sur le dernier officier en course, le gendarme Michel Robardey, ce cycle de plaintes est terminé. Au bilan final, sur sept officiers, le général Quesnot et le colonel Stabenrath ont gagné leurs procès face à SaintExupéry. Le général Rosier s'est désisté. Le général Lafourcade et les colonels Hogard, Tauzin et Robardey ont perdu leurs procès."

Fin de citation.

Le colonel Michel Robardey a donc fermé la marche de ces procès odieux contre ce journaliste courageux, qui mérite mille fois son prix Albert Londres.

Je peux accepter que le Colonel Stabenrath (aujourd’hui général en retraite) ait eu gain de cause. Je ne comprends pas que le chef d’état-major particulier de François Mitterrand ait eu gain de cause. Mais j'ai cru comprendre, au regard du droit, qu'il aurait fallu que le livre contienne ce en quoi ce haut fonctionnaire militaire aurait été "complice de l'inavouable", indépendamment de ce que l'on sait par ailleurs de son action à l'époque et de sa façon de défendre la politique de François Mitterrand ensuite.

On peut donc constater, à travers l'ultime revers du Colonel Michel Robardey et de ses collègues, que certains magistrats acceptent les faits.

Les décisions de justice de trop de magistrats dans les questions de la France au Rwanda  ne sont pas toujours aussi heureuses, loin s'en faut.  Notamment celles de ceux qui ont refusé d'entendre l’état-major français dans l'affaire scandaleuse de Bisesero1, précisément le cœur factuel du livre de Patrick de Saint-Exupéry, au prétexte que ces événements auraient été le résultat de décisions subalternes. Ce n'est pas crédible et c'est objectivement faux au regard des archives et documents factuels connus. Ce déni rejoint le consensus nouveau de nos élites, qui est absolument indécent, selon lequel les autorités françaises auraient bien des responsabilités "lourdes et accablantes" mais ne seraient pas complices dans le génocide des Tutsi. C'est tout simplement un mensonge d’État au regard de nos lois.

Les magistrats doivent faire leur travail, y compris contre nos autorités quand elles sont présumées complices dans un génocide. C'est imprescriptible. Mais voilà, trop de magistrats ont du mal à se sentir libres après des siècles de culture servile au regard de l’État, voire d'admiration déplacée pour certains hommes politiques impliqués ou traditionnellement pour une armée française fantasmée. Les clichés de la propagande nationale ont la vie dure. Nos procureurs se portent pâles2.

Cette série de procédures a été probablement financée par le ministère de la Défense, avec nos impôts, pour ce qui concerne les officiers, comme c'est malheureusement l'usage et comme le premier d'entre eux, l'ancien chef d'état-major de l'époque, l'a revendiqué publiquement. C'est proprement scandaleux.

Quand je vois l'inertie crasse de la majorité de la classe politique française sur ce sujet particulièrement grave, qui par certains côtés évoque l'affaire Dreyfus, qu'Emmanuel Macron a eu le courage de regarder en face, à la suite de Nicolas Sarkozy en 2010, en nommant la commission Duclert et en acceptant son rapport, mais tout en s'inclinant devant la compromission ambiante sur la question des poursuites judiciaires, je ne peux m'empêcher de penser que les échecs et déroutes constatés de la plupart des candidats aux présidentielles sont bien mérités.

Jean-Luc Mélanchon, dont je ne me souviens pas qu'il ait eu une attitude moins servile que le parti socialiste à l'égard des responsabilités de François Mitterrand au Rwanda, porte une responsabilité particulière dans cette inertie. C'est l'un de ceux qui a le potentiel intellectuel et oratoire de faire comprendre à l'Assemblée nationale ce désastre français au Rwanda. Il n'a rien fait, ni avant ni après, probablement par calcul électoral, rejetant l'héritage de Jaurès qui avait dénoncé 19 ans avant 1915, les massacres odieux que subissaient les Arméniens3 avec des mots qui préfiguraient déjà non seulement le génocide des Arméniens, mais aussi ce que fut le génocide des Tutsi un siècle plus tard et l'attitude de la communauté internationale, France en tête. La conscience nationale française n'a pas évolué depuis 1896 en matière des Droits humains. Elle a même régressé.

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«Complices de l'inavouable», l'enquête de Saint-Exupéry Sylvain Bourmeau et Thomas Cantaloube /Mediapart 11 avril 2009

1- Le parquet de Paris refuse de rendre justice aux Tutsis de Bisesero - Survie - 7 mai 2021

2- Nos procureurs se portent pâles - E.C. Club de Mediapart, 11 octobre 2021

3- Discours de Jean Jaurès en 1896 devant l'assemblée nationale française (Le texte intégral du discours est accessible sur la même page du site de la fondation Jean Jaurès)

 

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