A propos de fake news sur la France au Rwanda

Dans un article récent, publié dans le club de Médiapart, un blogueur a essayé de démontrer que deux citations concernant la France au Rwanda seraient des fakes news de journalistes.

Dans un article récent dans le club de Médiapart, « Les citations apocryphes du drame rwandais », un blogueur a essayé de démontrer que deux citations concernant la France au Rwanda seraient des fakes news de journalistes. [1]

Il insinue aussi par sa démonstration bancale et ses commentaires acerbes que la récente mise en cause « des responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide des Tutsi s’appuierait sur ces prétendues « fake news ». Une recherche dans le rapport Duclert montre que ces deux citations ne sont pas évoquées et que donc le rapport Duclert ne s’appuie pas dessus pour affirmer que la France a une « responsabilité lourde et accablante » dans le génocide des Tutsi. C’est réduire à peu de chose la consultation des archives françaises par des historiens. C’est une attitude assez fantaisiste et rocambolesque sur le fond. Il ressort des nombreux articles de son blog, quasiment tous consacrés à la France au Rwanda, que ce blogueur était un militaire français engagé au Rwanda. Il ne mâche pas ses mots :

  • « Depuis la publication de ce rapport [Duclert], nonobstant la reculade de Kigali, les relais de Kagame ne cessent de reprendre en France certaines de ces accusations. Ces militants sont redoutables en matière de communication et de manipulation de l’opinion publique par média, journalistes et pseudo-universitaires interposés. Ils sont capables de publier en grande abondance à peu près n’importe quoi sans souci d’apporter la moindre preuve de ce qu’ils avancent. Ils utilisent toutes les astuces d’ « agit prop » de sinistre mémoire. Pour eux, un mensonge répété ad libitum devient une vérité première et, pour ce faire, à l’heure du copier-coller, ils n’hésitent pas à se citer les uns les autres sur leurs sites ou sur les réseaux sociaux, voire même dans les livres qu’ils publient. L’appui de certaines ONG et des media main stream qui leur a été accordé sans réserves pendant des années a mis entre leurs mains une fantastique machine de propagande.  Face à cette industrie de la désinformation, les militaires qui tentent de se défendre ne sont que de petits artisans  de la communication , peu versés dans les lignes éditoriales des salles de rédaction. »
    (RWANDA : Les procès perdus par les « blancs menteurs, blog de Médiapart)

On peut d’ailleurs constater dans la suite de son article, « Les procès perdus par les « blancs menteurs »[2], qu’il a une dent particulière contre moi. Il déforme mes propos et me traite de menteur, mais son interprétation déformée a été validée par des juges d’un tribunal français, dont il était à l’époque l’unique « enquêteur de personnalité », et alors qu’en fin d’instruction le procureur avait conclu par une « réquisition définitive aux fins de non lieu ». Ma « diffamation » n’était donc pas si évidente. J’ai été condamné en diffamation à son profit. Apparemment, sa victoire juridique ne lui suffit pas. Il voudrait probablement que le monde entier adopte son point de vue et sans doute dans ce but que je me taise définitivement.

Cette citation longue reflète de fait un bel aveu d’échec dans la « communication » par un militaire. Notre blogueur semble ignorer que notre armée enseigne et pratique elle-même la guerre psychologique et la propagande comme arme de guerre. Espérons que ce ne soit que pour cela ! Serait-il donc si niais ou s’accroche-t-il à un déni factuel ? L’armée serait-elle donc si incompétente dans son domaine de compétence ?

Pour ma part, je n’ai suivi aucune formation sur la communication autre que les dissertations au Lycée, et encore moins sur la propagande. En communication, je n’ai que de la pratique intuitive. Je n’ai d’ailleurs aucun diplôme d’études supérieures. Je n’ai suivi que des formations professionnelles en comptabilité et en informatique. C’est peut-être de ma pratique professionnelle que me vient un certain sens de la rigueur dans les raisonnements et surtout dans l’analyse détaillée des faits. Un programme mal analysé et mal codé plante immanquablement. La « punition » est souvent immédiate et il suffit d’un caractère erroné pour que ça plante, parfois c’est plus grave, c’est la logique qui pêche. Cela m'arrive et je corrige aussitôt. On ne peut pas tabler sur la chance que l'ennemi ne détecte pas une faille, comme dans une stratégie militaire mal fagotée. Cela doit être exact ou cela ne marche pas.

Examinons ces citations que ce blogueur conteste :

La première citation : « Dans ces pays là, un génocide, c'est pas très important »

Selon le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, c’est ce qu’aurait dit François Mitterrand à un de ses proches[3]. Observons d’abord que le professionnalisme de Patrick de Saint-Exupéry n’est remis en cause que par des responsables français impliqués dans les décisions françaises concernant le Rwanda à partir de 1990. En réalité nul ne peut contester que PSE est un journaliste sérieux. Il n’a pas reçu son prix Albert Londres dans une pochette surprise. Il a travaillé pour Le Figaro. Ce n’est donc pas un extrémiste de quelque bord que ce soit.

Je fais confiance à Patrick de Saint Exupéry, et de plus j’observe que Jean-Christophe Mitterrand a écrit dans son livre "Mémoire meurtrie" que son père lui aurait expliqué le génocide des Tutsi ainsi :

"[...] dans cette région des grands lacs les massacres sont devenus la norme. [...]ne cherche pas les bons et les méchants, il n'existe que des tueurs potentiels". [4]

Convenons que cette citation de François Mitterrand, rapportée par son fils, dit avec d'autres mots la même chose que "dans ces pays-là, un génocide, c'est pas très important". Elle rend parfaitement plausible la citation contestée par notre blogueur, qui précise pourtant la réponse à un lecteur par un service du journal Libération qui rappelle l’origine de la citation. Pour notre blogueur, la bonne foi de Patrick de Saint-Exupéry est donc contestable, bien qu’il ne sache visiblement rien de plus au sujet de cette citation.

La deuxième citation : « On va lui envoyer quelques bidasses au petit père Habyarimana »

Là notre blogueur ne connait tout simplement pas l’origine de cette citation. Elle fut rapportée par Gérard Prunier, chercheur au CNRS, qui devint à partir du gouvernement de cohabitation de Mr Balladur, conseiller du ministre de la Défense, François Léotard. Fait marquant, il démissionna en 1994 du parti socialiste à cause de la politique française au Rwanda.

Il raconte dans son livre, « Rwanda, le génocide » que le 2 octobre 1990 il est dans le bureau du chef de la cellule Afrique à l’Elysée, Jean-Christophe Mitterrand, surnommé à l’époque en Afrique « papamadit », quand Habyarimana appelle au téléphone pour informer l’Elysée de sa situation face à l’attaque du FPR de la veille. Jean-Christophe Mitterrand raccroche et explique à Gérard Prunier : "Nous allons lui envoyer quelques bidasses au petit père Habyarimana. Nous allons le tirer d’affaire. En tout cas, cette histoire sera terminée en deux ou trois mois " [5].

Notre blogueur nous explique l’historique de la décision de Mitterrand d'envoyer des troupes au Rwanda, en nous laissant penser que cet historique ne serait que militaire. Cet historique, qui commence le 3 octobre 1990, ne peut pas exclure la phrase attribuée à Jean-Christophe Mitterrand, datée du 2 octobre 1990, qui a probablement averti son père. Mitterrand aurait donc reçu la même information par deux circuits différents. Peut-être même que ces deux circuits n’en sont qu’un seul et que ce serait Jean-Christophe Mitterrand qui serait à l’origine des télégrammes que le chef d’Etat-major particulier de Mitterrand a reçu « à bord de la frégate Dupleix croisant dans le golfe arabo-persique, au large d’Abou Dhabi », Ces télégrammes arrivent en effet le lendemain du coup de téléphone d’Habyarimana à Jean-Christophe Mitterrand.

Notre blogueur conclut sans vergogne :

« Le récit de l’Amiral François Pezard traduit sans doute la rapidité – et peut-être la légèreté – d’une décision prise par un président de la république fatigué et agacé. Mais il dédouane Papamadit de toute responsabilité dans cette affaire, quoi qu’on ait pu inventer par ailleurs sur la supposée proximité d’intérêt entre les fils des deux présidents français et rwandais. »

Au passage, une troisième « fake news », qui arrive comme un cheveu sur la soupe par rapport à l’objet de la citation, devrait être abordée, au sujet de la proximité contestée des fils des deux présidents français et rwandais. Les Rwandais sont convaincus de cette proximité par ce qu’ils ont vu au Rwanda. Mon épouse, par exemple, fut obligée d’acheter des billets d’une tombola, organisée, selon ces billets, sous le patronage de ces deux fils de présidents, et dont elle n’a jamais entendu parler du tirage ! Une belle escroquerie, dont on ne sait pas si le fils de Mitterrand en fut une bonne poire instrumentalisée à son insu ou un complice.

Bref. Il est donc très vraisemblable que ces deux ou trois prétendues « fake news » n’en sont pas. Mais notre blogueur a besoin de jeter le doute sur les informations que véhiculent « ses » ennemis. Car, de fait, il traite comme des ennemis ceux qui aboutissent depuis trente ans aux mêmes conclusions que le rapport Duclert. Il en fait une représentation complotiste, dont l’égérie serait l’association Survie, voire Patrick de Saint-Exupéry, voire votre serviteur ou d’autres comme le journaliste Jean-François Dupaquier, c’est selon. Complotisme qu’il assène volontiers, sans aucune preuve et avec beaucoup de diversions et d’évitements, et qui ressemble de plus en plus à de la diffamation autorisée et systématique d’auto-défense.

On peut dès lors se poser des questions sur la qualité de certaines enquêtes qu’il a conduites au Rwanda et en France devant un tel manque de rigueur de la part d’un blogueur obsédé par son combat contre les vérités véhiculées par les rescapés du génocide des Tutsi et ceux qui les soutiennent ou d’autres qui cherchent à comprendre cet événement.

Ce que notre blogueur ne sait visiblement pas, c’est que toutes ces personnes ne se connaissent qu’à cause de leurs recherches sur la France au Rwanda. Elles n’ont pas pondu leurs travaux dans un complot organisé entre personnes connues, pour le traquer, mais elles se sont au contraire retrouvées, un peu comme les victimes d’un terrorisme, à travers leur traumatisme commun face à l’énorme mensonge, incommensurable, que l’Etat français a tenté d’imposer pendant plus de 20 ans à travers des «  media main stream », des livres comme celui de Pierre Péan et de son obligé italo-camerounais ou de son adulatrice canadienne et des articles de journalistes apparatchiks de ce que le général Varret appelle le « lobby militaire à l’Elysée »,  ou de son géopoliticien en chef, celui qui se cache derrière tout le monde et tire les ficelles du négationnisme de l’implication française au Rwanda. Et que penser de décisions de justice scabreuses, comme celle du juge Bruguière[6] invalidée par l’instruction de ses successeurs ou du blocage de certaines procédures judiciaires ? … sans parler de certains conflits d’intérêts.

On aurait pu espérer que la justice serait à la hauteur de la situation. Mais il n’en est rien et l’idée que des juristes accréditent qu’on peut avoir « une responsabilité lourde et accablante » dans le génocide des Tutsi et exclure toute complicité, sans aucune procédure d’examen juridique sérieux, est une des raisons pour lesquelles je n’ai plus aucune confiance dans notre justice, qui à propos de la France au Rwanda a clairement montré les limites exiguës de son indépendance, à moins qu’il ne s’agisse d’un partisanisme corporatiste du milieu régalien, une partialité médiocre, malgré quelques exceptions notoires (Je pense aux juges d’instruction Brigitte Raynaud et Marc Trévidic notamment).

La France au Rwanda est le « pont aux ânes » de la justice française[7]. Mais il est vrai que « le pont aux ânes » est une épreuve de raisonnement chère aux mathématiciens dont la rigueur est difficilement applicable en toutes circonstances aux raisonnements juridiques. La Justice n’est pas une science exacte, elle n’est qu’une diplomatie sociale, selon des consensus circonstanciels, cristallisés dans des interprétations d’un corpus de lois que le pouvoir politique peut s’empresser de changer sous la pression populaire ou de tel ou tel organe de pression. De plus elle est managée directement ou indirectement par des intérêts politiques, voire par les propres affinités politiques des magistrats, sans parler des soucis de carrières.

[1] https://blogs.mediapart.fr/michel-robardey/blog/010921/les-citations-apocryphes-du-drame-rwandais 

[2] https://blogs.mediapart.fr/michel-robardey/blog/080920/rwanda-les-proces-perdus-par-les-blancs-menteurs1

[3] Patrick de Saint-Exupéry « France-Rwanda, un génocide sans importance » - le Figaro 12 janvier 1998

[4] Jean Christophe Mitterrand, Mémoire meurtrie, Plon, page 154

[5] Gérard Prunier, Rwanda, le génocide, Dagorno, 1997, p. 128

[6] L'ordonnance du juge Bruguière comme objet négationniste Rafaëlle Maison, Géraud de Geouffre de La Pradelle Revue Cités N°57

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pont_aux_%C3%A2nes

 
 

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