A propos de l'article de Survie sur l'acquittement de Natacha Polony

A la suite des propos de Natacha Polony le 18 mars 2018 sur France Inter, Raphaël Doridant a publié sur le site de de l'association Survie un excellent article qui resitue très bien l'affaire, mais dont le titre est particulièrement équivoque.

Relaxe attendue pour Natacha Polony - Survie - 7 juillet 2022 1

Le titre est malheureux, mais le contenu de l'article est excellent. Ce titre est malheureux car il invite à considérer comme "normale" cette relaxe. Le contenu est excellent car il situe bien les propos jugés et fait réfléchir pertinemment.

Il faut ici rappeler la façon dont les Rwandais comprennent parfois le sens des phrases. Quand un Rwandais dit "Umugore wanye muto", on m'a expliqué qu'il dit "ma jeune épouse" mais qu'il faut comprendre que c'est la plus jeune et que cela dit aussi qu'il y en a une autre, plus vieille.

Forcément en exprimant cette comparaison biaisée, "Des salauds contre d'autres salauds", à propos du FPR et/ou du génocide des Tutsi, ce qui n'était pas précisé avant les réactions, sous l'angle de l'implication française, objet du livre de Guillaume Ancel2, étincelle de ce menhir verbal scandaleux de Polony, déposé au micro de radio France, comme Obélix aurait posé son menhir sur le zinc, les rescapés Tutsi entendent bien ce que les négationnistes français cherchent à faire comprendre. L'implication française dans le génocide des Tutsi ne serait pas si grave, car le FPR serait plus criminel que les criminels génocidaires que les autorités françaises ont aidés, y compris pendant le génocide et même après... C'est d'ailleurs la ligne éditoriale du magazine Marianne que Natacha Polony dirige, comme cela fut rappelé.

"Aider" est ici une litote qui exprime un soutien militaire majeur en armes, en véhicules et en stratégies, une informatisation du fichier central de la gendarmerie rwandaise très impliquée dans le génocide, un soutien diplomatique à l'ONU, un soutien, très solitaire, au gouvernement génocidaire pendant le génocide, après l'avoir hébergé et conseillé à l'ambassade de France pendant sa constitution, puis reçu à l’Élysée, et même des formations de miliciens selon des témoignages français et rwandais.

Le rapport de la commission Duclert, nommée par Emmanuel Macron, parle de responsabilités "lourdes et accablantes" à l'issue de 900 pages d'études de nos archives, dont certaines, les plus graves, ne lui ont pas été présentées puisqu'elle ne les traite pas, mais dont nous savons qu'elles existent4.

Les magistrats ont fait mine de ne pas comprendre et ont volé au secours de Natacha Polony qui, pour se défendre, sentant qu'il fallait "rattraper le coup", a mis l'accent sur le génocide des Tutsi, bref sur tout l'effort pédagogique qu'elle aurait dû faire avant d'en venir à ses propos induisant de la confusion dans les esprits, comme l'a souligné, avec une certaine compassion pour sa consœur, Patrick de Saint-Exupéry.

Les magistrats ont négligé le fait que ces propos furent dit à une heure de grande écoute, juste après les informations de 13 heures sur France Inter, et que la direction de France Inter avait exprimé dans un communiqué son propre malaise face à ces propos contestables de Natacha Polony : "il est évidemment impensable que des propos négationnistes soient tenus sur l’antenne de France Inter et acceptés comme tels"3.

Par contre quand un Français lambda exprime dans un simple commentaire, sur un blog de ce club constitué de deux articles et d'à peine plus de lecteurs, qu'en informatisant le fichier central des Personnes à Rechercher et à Surveiller de la gendarmerie rwandaise, l'officier de gendarmerie française qui a conduit cette mission particulièrement grave, dans le contexte rwandais de 1990 à 1994, a aidé le renseignement rwandais à constituer de listes génocidaires, on condamne ce Français lambda, non imposable, à 9000 € au titre de divers articles de loi, pour avoir "diffamé" cet officier.

Des jugements plus extrémistes, on en trouve peut-être chez Poutine. On cherche en vain l'aiguille qui indique l'équilibre des plateaux de la balance. Elle a foutu le camp dans la boite à gants, comme on exprimait un très grand excès de vitesse il y a quelques décennies. C'est du grand n'importe quoi et je n'ai plus aucune confiance dans la justice de mon pays.

D'autant plus que, pour cette dernière affaire du Français lambda, l'officier de gendarmerie était pendant le procès le seul enquêteur de personnalité du tribunal et son fils le seul psychologue du tribunal qui le jugeait. Serait-il excessif, voire extrémiste, de parler de conflits d'intérêts pour les magistrats de ce tribunal français ? Apparemment tout le monde trouve cela normal. Ce n'est qu'une bavure judiciaire de plus. Une de plus ou une de moins, on n'est plus à cela près !

On n'aime pas les citoyens qui renâclent au nom d'une République idéale qui respecterait enfin ses principes et on se permet de transgresser nos principes républicains pour le leur faire sentir. C'est stupide. Ce sont les mêmes qui se plaignent de la perte du sens civique. Il me semble d'ailleurs que Polony est de ces plaignants...

______________

1 Relaxe attendue pour Natacha Polony - Raphaël Doridant, Survie 9 juillet 2022

2 ANCEL Guillaume Rwanda, la fin du silence: Témoignage d'un officier français, Les Belles Lettres, 16 mars 2018 250 p.
Guillaume Ancel a quitté l'armée avec le grade de Lieutenant-colonel. Au nom de ce qu'il a lui-même vécu au Rwanda pendant l'opération Turquoise où il fut engagé en juin 1994, il a mis en cause les responsables français dans plusieurs articles et livres, et dans de nombreuses prises de paroles en conférences ou à la télévision. Son blog, Ne pas subir, permet d'accéder à l'ensemble de ses publications.

3 Réponse de Laurence Bloch à la demande de la Communauté rwandaise de France

  • "Sachez qu’à l’écoute de l’émission j’ai moi-même été profondément troublée par les propos de Natacha Polony que je connais bien et qui est une journaliste d’une parfaite intégrité. Je comprends et partage l’émotion que ces propos ont pu provoquer parmi les proches des victimes et dans la communauté rwandaise de France et il est évidemment impensable que des propos négationnistes soient tenus sur l’antenne de France Inter et acceptés comme tels" [...]"C’est la raison pour laquelle , en plein accord avec Natacha Polony et Ali Baddou , l’émission de Dimanche prochain reviendra sur ce moment tragique de l’histoire rwandaise et permettra , je l’espère ,de lever tout soupçon de négationnisme de la part de France Inter et de l’une de ses chroniqueuses."
    Laurence Bloch Directrice de France Inter - 23 mars 2018

4 Compte rendu semestriel de fonctionnement (Ambassade de France, Kigali- 2 octobre 1993)
"l'amorce d'informatisation" du "CRCD" est "partielle" car le fichier central de la gendarmerie rwandaise, rebaptisé CRCD, Centre de Recherche Criminelle et de Documentation, par le Dami gendarmerie français, était composé de plusieurs fichiers. Seul le fichier "PRAS", Personnes à Rechercher et A Surveiller, "l'ennemi intérieur", fut opérationnel selon le courrier de l'officier de gendarmerie français au chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise d'octobre 1992. Courrier qu'on trouve sur francegenocidetutsi.org, parmi plus de 14000 autres documents. Cela prouve que ce fichier était considéré par notre état-major comme prioritaire.
Vous pouvez faire le test de chercher le sigle "CRCD" ou "informatisation" dans le rapport Duclert, vous verrez que c'est ignoré. Par contre si vous faites le test dans les notes du rapport, vous trouverez une note qui parle du CRCD de façon incidente sans expliquer ce qu'était cet organisme, informatisé par la gendarmerie française.
Détails dans cet article : Rwanda : les circonspections françaises oublieuses et inconséquentes


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L’Institut François-Mitterrand dans Le Point ... sur le révisionnisme

Choisir les chemins de la Paix

Du Rwanda au Congo, les surenchères des diplomaties occidentales contre la vérité