Ukraine, un point névralgique du déséquilibre mondial

Le nez dans le guidon, nous nous polarisons sur l'évolution de la ligne de front entre la Russie et l'Ukraine. Je le fais chaque soir sur LCI. Mais pouvons-nous considérer cette guerre impérialiste de Poutine comme un acte manqué face à sa perception démoralisante pour la Russie de l'évolution du monde ?

La Russie a plongé l'Ukraine dans une horreur insensée. L'Europe et les USA d'abord consternés par cette dérive destructrice réagissent comme des infirmiers psychiatriques face à une crise de folie : essayer d'éviter de prendre des coups, mais tout faire pour aider l'Ukraine à mettre Poutine hors d'état de nuire.

La Russie n'est plus celle des Tsars, et elle n'est plus non plus l'Union soviétique, mais le régime de Poutine a gardé des défauts des Tsars et de l'URSS. Le rêve impérialiste des Tsars qui ont constitué le pays le plus vaste de la planète et le germe paranoïaque du communisme harcelé et discrédité par le monde libéral et son échec historique, se sont exacerbés dans le cœur des nostalgiques de la grandeur "tsaro-soviétique" devant l'évolution de la mondialisation. Cette grandeur historique aurait dû, dans ces cœurs, être transférée à la Russie. Mais cela ne fonctionne pas.

Le libéralisme, né en Europe et aux USA, identifié au monde occidental, domine de plus en plus le monde. Le libéralisme n'est pas lié à la démocratie. Les régimes autoritaires s'en accommodent très bien, pour peu que les acteurs économiques acceptent une allégeance politique. Il triomphe aussi dans le reste du monde, y compris en Russie et les oligarques russes en ont royalement profité... dont Poutine. Mais à l'échelle du monde les oligarques russes se heurtent aux oligarques occidentaux dans leurs aspirations culturelles.

L'orthodoxie russe symbolise aujourd'hui ces aspirations culturelles de la vieille Russie "désoviétisée". Son patron n'est pas très sain, ni très saint. C'est une opinion notoire, largement partagée. A cause de ces faits les valeurs évangéliques sont mises sous le boisseau en Russie. Le paradoxe est qu'il semble qu'elles ne soient pas mieux respectées en occident. Le libéralisme bafoue nombre de valeurs évangéliques, malgré les prières politiques à la Maison blanche et dans d'autres États occidentaux. Le monde crève de tous ces pharisiens.

Depuis Yalta, l'équilibre du monde est cristallisé dans le Conseil de sécurité de l'ONU. La France, le Royaume Uni, la Russie, les USA auxquels, dans les années soixante sous l'impulsion initiale du général de Gaulle, la Chine s'est jointe, ont un droit de véto sur toute décision de ce Conseil. Ces cinq pays sont les principaux producteurs d'armes du monde. Chacun de ces cinq pays bloque la mise hors la loi de ses propres tares face aux autres pays. Cet équilibre est malsain. La position de la Russie n'est pas la plus saine dans cette affaire. mais entre le bloc occidental et la Chine, la Russie est le maillon le plus faible à tout point de vue, y compris sur le plan militaire à notre récente surprise.

Il faut probablement chercher dans cette situation la fuite en avant, absurde et criminelle, de Poutine, de toute évidence mal informé par ses services. L'Ukraine de son côté symbolise géographiquement, et politiquement depuis Maïdan, une intrusion occidentale dans la Russie. Il suffit de regarder une carte où la forme de l'Ukraine rappelle celle d'un poignard en silex préhistorique, alors qu'elle pourrait être perçue comme un trait d'union. La personnalité du président Zelensky, perçu comme un politicien de circonstance issu accidentellement du showbiz, et donc jugé par le régime des espions comme un maillon faible, a fonctionné comme un leurre particulièrement trompeur. Poutine a mordu à l'hameçon, il ne s'en remettra probablement pas

Il semble aujourd'hui que l'issue de la guerre se fera au détriment de la Russie... à fortiori si en désespoir de cause elle fait usage de sa force de dissuasion. Certes dans ce dernier cas nous en payerons aussi les conséquences très lourdement. Mais de toute façon à terme, la Russie devra payer des réparations à l'Ukraine, si tout n'est pas détruit. Le cout de cette reconstruction de l'Ukraine sera exorbitant pour la Russie.

Le voisin chinois, menaçant pour la Russie par sa puissance grandissante, tirera ses marrons du feu. Il faut revoir la tête de Poutine, lorsque le président chinois lui a affirmé son amitié lors de sa visite à Moscou en mars 2023. On voyait quasiment physiquement la pensée de Poutine sortir de ses orbites oculaires : à quelle sauce va-t-il me manger ? L'Est de la Russie, où la population a une très faible densité sur un territoire immense est de fait un vase d'expansion naturel pour la démographie et l'activité industrielle chinoise. Surtout c'est un débouché indispensable sur l'océan Arctique et ses futures routes de transport international. Il est donc probable qu'au moment du bilan, le grand ami chinois de la Russie proposera une aide à la reconstruction de l'Ukraine en échange de territoires à l'Est de la fédération de Russie.

Il est aussi probable que la Russie perdra son siège au Conseil de sécurité. Mais d'autre part la pression internationale, où la Russie n'est pas si isolée dans son anti-occidentalisme, fera peut-être sauter cet équilibre de Yalta. Les cinq "grands" en prendront pour leur grade face au reste du monde.

L'acte manqué de Poutine aura quelque part trouvé une victoire contre lui-même et ses rivaux.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L’Institut François-Mitterrand dans Le Point ... sur le révisionnisme

Génocide des Tutsi du Rwanda : la France n'est-t-elle pas coupable ?

Du Rwanda au Congo, les surenchères des diplomaties occidentales contre la vérité