L'Elysée au Rwanda

Le génocide des Tutsi au Rwanda et l'implication française

Après la seconde guerre mondiale et la Shoah

Le 9 décembre 1948 à Paris, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est adoptée par l’assemblée générale des nations unies . La France et le Rwanda sont signataires de cette convention, le Rwanda en 1975.

A partir de 1950 - Les Tutsi étaient favorisés par les colonisateurs allemands et religieux à partir de la fin du 19 ème siècle (1894), puis religieux et belges à partir des années 20, suite au traité de Versailles, car ils les jugeaient "d'une race supérieures" à celles des autres Rwandais. Dans les années cinquante, les Tutsi commencent à inquiéter le colonisateur belge et l’église catholique par des revendications d'indépendance. Ils sont de ce fait soupçonnés d'être manipulés par le communisme international. La Belgique va alors favoriser les Hutu, pour tenter de garder sa  mainmise sur le Ruanda et conjurer la menace communiste.

1959 - Sous la houlette de la Belgique, la "révolution sociale" hutu, chasse de nombreux Tutsi du Rwanda. Les "Tutsi de l'intérieur" commencent une période où il subiront une xénophobie "ethnique" sous de multiples formes, à l'intensité variable selon les moments, jusqu'à la solution finale du génocide de 1994.

De 1962 à 1990 l'approche française du Rwanda

1962 - indépendance du Rwanda. La Belgique est contrainte par l'ONU de renoncer à sa tutelle du Rwanda. Instauration de la première république mono-ethnique hutu.

1963- Accords de coopération civils entre la France et le Rwanda

1963 - décembre - "petit génocide" dans une partie du Rwanda.

1964 -  Le journal français Le Monde titre le 4 février : "L'extermination des Tutsis - Les massacres du Ruanda sont la manifestation d'une haine raciale soigneusement entretenue"

1975 - Un accord de coopération militaire pour la formation de la gendarmerie rwandaise par la France est conclu.

1983 - Un avenant à l’accord de coopération implique que les gendarmes français porteront l’uniforme rwandais et la restriction aux strictes missions de formation est supprimée. Ce sera lourd de conséquences dans les engagements français aux côtés des Rwandais.

1989 - L’ambassadeur de France prévient les nouveaux coopérants que : « Le Rwanda risque de subir bientôt une agression extérieure. […] »

1990, 20 juin - François Mitterrand prononce un discours à La Baule dans lequel il appelle les pays africains à s’ouvrir à la démocratie pour être soutenus pleinement par la France.

D'octobre 1990  à décembre 1993 l'armée française intervient au Rwanda

Sur cette période la situation est très complexe à saisir, puisqu’on assiste simultanément au développement d’une guerre civile entre le Front Patriotique Rwandais (FPR) et les forces armées rwandaises (FAR), dites "forces gouvernementales" dans certains écrits.  Le FPR, basé en Ouganda, est majoritairement composé d'exilés rwandais Tutsi, mais des exilés rwandais Hutu en sont aussi membres. La France va prendre une part de plus en plus déterminante dans cette guerre civile. En même temps on assiste à un développement du multipartisme, provoqué par la réponse au "discours de La Baule" de François Mitterrand. L’éclosion du multipartisme favorise un retour des courants de la première république face à ceux de la deuxième république, la création de nouveaux partis politiques et des modifications gouvernementales en conséquence pour intégrer ces nouvelles réalités. Des gouvernements composés de plusieurs partis apparaissent.

Parallèlement se développe une campagne de terreur de la part de ce qui deviendra le Hutu power, à l’encontre des Tutsi de l’intérieur, avec des harcèlements de plus en plus pressants dans les médias et par les autorités locales et même le voisinage. De véritables massacres de masse sont organisés par l’état rwandais, présidé par Habyarimana, notamment ceux des Tutsi Bagogwe en 1991 et des Tutsi du Bugesera en 1992. On remarque aussi dans plusieurs notes de l’Elysée que la stratégie de la France est constamment dirigée contre les « forces Tutsies » ou "ougando-Tutsies". Les massacres de Tutsi sont minimisés, voire le plus souvent passés sous silence par la France officielle.

On doit souligner que selon le rapport parlementaire français de 1998 et le rapport de la commission d'historiens présidée par Vincent Duclert de 2021, les responsables français de l'ambassade de France reconnaissent pourtant le risque de génocide dès octobre 1990. L’intention de génocide est exprimée clairement par des officiers rwandais à des officiels français dès 1990.

1990, 1 octobre - Les Rwandais du  FPR, dirigé par Fred Rwigema, entrent en force au Rwanda depuis l'Ouganda. Le FPR est majoritairement composé d'exilés rwandais Tutsi, mais des exilés rwandais Hutu en sont aussi membre.

4 octobre 90 - début des arrestations massives de Tutsi de l’intérieur par la gendarmerie rwandaise.

5 octobre 1990 - arrivée à Kigali des forces françaises de l’opération Noroît. Le parlement français reconnaîtra un engagement français qui progressivement se fourvoiera « à la limite de l’engagement direct » et le "commandement indirect" de l’armée rwandaise par des officiers français. Cet engagement s’accompagne de livraisons d’armes. L’armée rwandaise sera décuplée en effectif entre 1990 et 1993, chaperonnée par l'armée française et verra la gendarmerie rwandaise majoritairement détournée de sa mission au profit des buts de guerre, ce que déplorent dans leurs rapports les autorités militaires françaises, mais qu'elles accompagnent sur le terrain.

Octobre 1990 - Déroute du FPR après la mort de Fred Rwigema remplacé par Paul Kagame.

Février 1991- à la suite d’une nouvelle attaque du FPR en janvier à Ruhengeri, renforcement de la formation française pour « durcir »  le dispositif local (selon les mots du chef d'état-major particulier de François-Mitterrand dans une note à son intention).
Le massacre des Tutsi Bagogwe commence, avec le concours de la gendarmerie rwandaise et de miliciens, et se terminera pendant le génocide. L’ambassadeur de France parlera de rumeurs à propos de ces massacres.

29 mars 1991 - accord de cessez-le-feu signé au Zaïre entre le FPR et le gouvernement rwandais, accompagné d'un embargo sur les armes et de l'injonction du départ des "troupes étrangères" du Rwanda, c'est à dire des troupes françaises.

4 avril 1991 - projet de démocratisation du Rwanda annoncé par Habyarimana. Des partis politiques se créent. Cela enclenche des mouvements sociaux et politiques internes au Rwanda.

Mi-avril 1991 - au contrôle d’une barrière de Ruhengeri, une Rwandaise, mon épouse, voit des militaires français contrôler les cartes d’identité ethniques et remettre aux militaires rwandais puis aux miliciens un Tutsi aussitôt « machetté ».

Fin avril - un document de la gendarmerie rwandaise, rédigé par un officier de gendarmerie français, montrent que des coopérants militaires français inspectent ces barrières. Selon les députés français un colonel français s’inspire dans un rapport du 30 avril 1991 de la hargne des civils à Ruhengeri pour préconiser des unités basées sur des éléments en civil pour traquer l’ennemi.

Septembre 1991 et janvier 1992 - une délégation du FPR est reçue par Paul Dijoud au Quai d’Orsay. Arrestation pendant quelques heures de membre de cette délégation à chaque fois et même de Paul Kagame la deuxième fois. Selon Paul Kagame, Paul Dijoud aurait dit : « Si vous n’arrêtez pas le combat, si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos frères et vos familles, parce que tous auront été massacrés ! »

Mars 1992 - massacre de Tutsi du Bugesera avec le concours de miliciens et de l’école de gendarmerie. Une religieuse italienne, Antonia Locatelli, dénonce ces faits dans des médias internationaux et à un officier de gendarmerie français coopérant au Rwanda. Elle est assassinée dans la nuit suivante par un gendarme rwandais. L’ambassadeur de Belgique dénonce un plan d’extermination des Tutsi auprès de son gouvernement.

Courant 1992 - les coopérants français commencent à former directement des miliciens selon le sergent du GIGN Thierry Prungnaud

Juillet 1992 - Début des négociations d’Arusha. Le premier accord est signé le 12 juillet 1992. Il renouvelle l’accord de cessez-le-feu de 1991. Il implique le maintien des coopérants militaires, et entre autres le départ des troupes étrangères, donc de l'opération Noroit de la France et l’arrêt des livraisons d’armes, diverses dispositions pour favoriser la paix et la protection des civils et une feuille de route pour les accords suivants. Il est appelé "accord de paix" par le chef d'état-major particulier de François Mitterrand.

Août 1992 - Aussitôt, « à chaud » selon Pierre Joxe, ministre français de la défense, l’accord de coopération de 1975, initialement réservé à la gendarmerie, est étendu à toute l’armée pour contourner le cessez-le-feu et permettre à plus de coopérants français de rester.

En même temps reprise des massacres de Tutsi en août 1992 à Kibuye.

Septembre 1992 - publication de la définition de l’ennemi par les militaires : "L’ennemi principal est le Tutsi de l’intérieur et le Tutsi de l’extérieur [...] suivi d'une dizaine de pages pour caractériser les différents ennemis Tutsi et leurs complices. Aucun Tutsi n'échappait à cette définition et tous les Rwandais, Hutu comme Tutsi, le comprirent ainsi, la propagande anti-Tutsi le renforçant.

Octobre 1992 - Une équipe de coopérants officiers de police judiciaire français, dirigés par l'officier de gendarmerie français qui avait rencontré Antonia Locatelli en mars 1992 quelques heures avant son assassinat, livre l’informatisation du fichier central de la gendarmerie rwandaise. Le compte rendu par les députés français, de l’audition du général Varret, chef de la mission militaire au ministère de la coopération du gouvernement français, soulignera le fichage des Tutsi et la chasse au Tutsi dans la mission demandée à ces officiers de police judiciaire français. Dans le contexte de la définition de l'ennemi, cette initiative est particulièrement compromettante.

Fin janvier 1993 - Jean Carbonare, président de l'association Survie et membre d'une mission internationale de la FIDH au Rwanda, dénonce les prémisses du génocide, en employant ce mot, à la TV française. Dans un télégramme diplomatique, l'ambassadeur de France au Rwanda qui a rencontré Jean Carbonare avant son retour en France, suggérera à l'Elysée de l'entendre pour le calmer, car ses propos peuvent être embêtants pour justifier le soutien de la France au régime rwandais.

Février 1993 - de nouveaux massacres de Tutsi provoquent la reprise du conflit par le FPR, qui sera accusé par la France de violer le cessez-le-feu, alors que ces massacres sont clairement un viol de l'accord de cessez-le-feu de juillet 1992. L’armée française, qui selon ce même accord de cessez-le-feu aurait déjà dû quitter le Rwanda,  envoie au contraire des troupes en renfort pour soutenir les FAR. Fin février, le ministre français Marcel Debarge préconise au Rwanda la constitution d’un front Hutu. Le général Varret, qui l'accompagne, considérera ce conseil comme une maladresse émotive du ministre. On verra alors apparaître l’expression Hutu power qui créera un regroupement ethniciste transversal aux nouveaux partis politiques qui va cliver la société rwandaise et tuer l’influence du multipartisme.

Mars 1993 - la FIDH publie un rapport dénonçant la situation génocidaire au Rwanda, reflet de l'intervention de Jean Carbonare en janvier à la télévision française.

Juillet 1993 - création de la RTLM dites radio des mille collines et même radio de la mort qui déverse des appels à tuer les Tutsi, à la suite de divers journaux et d'une ambiance musicale qui fait rapidement son succès.

18 juillet 1993 - un gouvernement d’union nationale est investi. Il est dirigé par l’opposante démocrate hutu Agathe Uwilingiyimana, première ministre.

Jusqu’en août 1993 - 4 autres accords politiques sont négociés à Arusha. Abusivement, en France, on date ces 5 accords de la date du dernier accord, sans doute pour atténuer le refus de se soumettre au premier accord pendant plus de 18 mois.

4 août 1993 - Signature du dernier accord de paix d’Arusha.

Août 1993 - la situation prégénocidaire est rappelée à nouveau par l’envoyé spécial de la commission des droits de l’homme de l’ONU, confirmant le rapport de la FIDH de mars 1993.

Automne 1993, le fichier PRAS (personnes à rechercher et à surveiller), informatisé par la France, est retiré du CRCD, car le ministère de l'intérieur qui a autorité sur la gendarmerie rwandaise  revient au FPR par les accords d'Arusha, selon un gendarme rwandais qui opérait au CRCD et que j'ai pu rencontrer en 2019 grâce à la Commission nationale de lutte contre le génocide.

Octobre 1993 - une force de paix des nations unies de 2 500 casques bleus, dont pour la moitié des casques bleus belges, la MINUAR, commence son déploiement.

Décembre 1993 - l’opération Noroît quitte le Rwanda. Restent quelques dizaines de coopérants français de l’armée et de la gendarmerie.

À la veille du génocide, on a donc un gouvernement d’union nationale dirigé par l’opposition Hutu démocrate, un clivage de plus en plus prégnant lié au courant Hutu power mené par l’entourage d’Habyarimana, le développement de milices des partis politiques de plus en plus agressives, la présence d’une force des nations unies pour mettre en œuvre les accords d’Arusha, et notamment le projet d'un gouvernent comportant des ministres Tutsi, sans cesse remis, avec comme acte concret en janvier 1994 l’installation à Kigali d’un bataillon du FPR, et une présence diminuée de coopérants militaires français et quelques Belges notamment au sein du principal camp militaire de la capitale. Le Rwanda est alors représenté au sein du Conseil de sécurité de l’ONU depuis janvier 1994 pour deux ans, parmi ses membres non permanents.

L'attentat du 6 avril 1994 donne le signal du génocide des Tutsi

6 avril 1994 - l'attentat contre Habyarimana survient alors qu'il revient en avion d'une ultime rencontre de paix régionale à Dars es Salaam. Son avion est abattu par des tirs de missiles juste avant son atterrissage. Le lendemain matin, la première ministre est assassinée, puis plus tard dans la journée les dix casques bleus belges qui la protégeaient, ainsi que tous ceux qui risquaient d’entraver le projet génocidaire. Le génocide des Tutsi est lancé presque partout dans le pays.

8 au 10 avril - Constitution du gouvernement dit « intérimaire » dont plusieurs réunions ont lieu à l’ambassade de France en soutien contre la déstabilisation provoquée par l'attentat. Ce gouvernement va conduire le génocide. Simultanément des opérations militaires française, belge et italienne évacuent les ressortissants étrangers. L’opération française évacue aussi des dignitaires Hutu initiateurs de la RTLM et un orphelinat géré par la première dame du Rwanda. Plusieurs accusations graves sont liées à ces opérations, dont le rapport du général qui conduisit ces évacuations confirmera la gravité. Les militaires français ont l'ordre d'encadrer les médias pour qu'elles ne voient pas qu'ils ont aussi l'ordre de ne pas intervenir dans les massacres de Tutsi qui ont lieu sous leurs yeux. Cela sera rapporté par les députés français en 1998.

Le génocide est particulièrement violent et atroce contre les Tutsi. Un recensement comptabilisera plus d'un millions de morts, tutsi victimes du génocide et hutu démocrates massacrés pour s'être opposés au génocide. Il durera d'avril à juillet 1994, mais l'essentiel des massacres eurent lieu en avril 1994. C'est le plus "efficace" des génocides puisque cela représente en moyenne 10 000 morts par jour pendant cent jours, ou trois Wold trade center par jour pendant cent jours, ou encore 90 Bataclans par jour pendant cent jours. C'est un terrorisme extrême, paroxystique. Le pays puait la mort pendant plusieurs mois.

21 avril - La Belgique ayant décidé de quitter la MINUAR suite au massacre de dix de ses casques bleus, vote à l’ONU, dont celui de la France, du retrait des forces de la MINUAR qui ne garde que 270 observateurs. Généralisation du génocide au sud du pays en destituant le seul préfet Tutsi qui retenait l'exécution du génocide dans sa préfecture de Kibuye (Huye aujourd'hui).

6 Mai 1994 · Paul Barril et Bob Denard sont à l'aéroport de Goma (frontière zaïroise du Rwanda) avec leurs équipes de mercenaires. Le même jour le général Quesnot informe Mitterrand qu’une "stratégie indirecte" est possible pour rétablir l’équilibre devant l’avancée du FPR [6].

12-13 mai 1994 - Attaque d'envergure du Hutu power contre les rescapés Tutsi de Bisesero. Plusieurs dizaines de millier de morts ! Des Rwandais, vivement contestés par d'autres (dont des plaignants en France comme Eric Nzabihimana), prétendent que des Français étaient présents. Le Rwandais Vénuste Kayimahe très critique avec la France par ailleurs, qui a assisté comme traducteur aux mauvaises méthodes pour entendre ces témoignages, estime qu'ils ont été manipulés.
A mes yeux la présence des mercenaires français une semaine plus tôt aux portes du Rwanda à trois heures de routes de Bisesero pose quand même question relativement à cette affaire, même si j'ai toute confiance en Vénuste Kayimahe et en Eric Nzabihimana que je connais. Je souligne aussi que même au moment de l'opération Turquoise, Bisesero était encore considéré par notre état-major comme un "maquis tutsi" et une avancée du FPR. Il y avait les 12-13 mai sur ces lieux des dizaines de milliers de Rwandais, rescapés et tueurs, la présence de quelques blancs a pu échapper à mes amis. Cela reste donc au conditionnel. Je me demande aussi si ces témoignages n'ont pas été délibérément sabotés, avec des méthodes ouvertement contraires à la confiance nécessaire dans des témoignages, par l'organisateur franco-israélien de leur enregistrement, probablement au profit de la France. 

17 mai 1994 - Une résolution de l'ONU ordonne un troisième embargo après ceux des accords de cessez-le-feu de 1991 et 1992.

Fin mai 1994 - des membres du gouvernement génocidaire sont reçus à l’Élysée, au ministère de la défense et au Quai d’Orsay. A ce moment au moins 80% des victimes du génocide des Tutsi ont été tuées. la France est le seul pays à avoir reçu des membres du gouvernement génocidaire pendant le génocide.

L'opération Turquoise

22 juin 1994 - la France arrache au conseil de sécurité la résolution 929 qui crée l’opération Turquoise dite « humanitaire », mais en réalité ayant d’abord l’objectif militaire de contrer le FPR, selon des officiers qui ont témoigné. Par l'intermédiaire de la société française Spairops, créée de toute pièce pour l'occasion, elle a recours aux gros porteurs d'un marchand d'armes russe, Viktor Anatolievitch Bout, pour sa logistique.

L’Élysée évoque en interne la création d'un "Hutuland" et d'un "Tutsiland" et organise aussi des livraisons d’armes aux génocidaires. L'opération Turquoise sauve des Tutsi de façon hésitante, notamment à Bisesero grâce à des désobéissances trop tardives de militaires français indignés. Ces retards de plusieurs jours entrainèrent la mort de centaines de Tutsi de Bisesero et ont fait l'objet de procédures judiciaires ultérieurement. Elle met en œuvre une stratégie complexe avec le commandement des opérations spéciales qui agit en parallèle de l’organisation visible et le concours organisé de la presse pour le retentissement médiatique qu’elle tient à chaperonner.

Le 28 juin est publié par l’ONU un rapport qui « officialise » les événements du Rwanda comme un génocide de la minorité Tutsi.

L'opération turquoise, sous chapitre VII de la charte de l'ONU, échoue dans son objectif militaire de limiter l'avance du FPR et surtout de créer une zone refuge pour y fixer les Hutu. Elle ne fait rien contre les génocidaires qui passent sous son contrôle au Zaïre. Elle est contrainte à faire de l'humanitaire par les circonstances et notamment  par le choléra dans les camps de déplacés hutu en fuite au Zaïre. 

Poursuite des livraisons d’armes, jusqu'en août 1994 aux FAR au Zaïre, après l’embargo du 17 mai 1994 de l’ONU dont certaines sont financées avec le concours de banques françaises, et/ou livrées sur l’aéroport de Goma quand il était contrôlé par la France pendant l'opération Turquoise.

22 août 1994 - fin de l’opération Turquoise, comme prévu par le gouvernement français de cohabitation.

Après le génocide, de la Baule à Biarritz !

Le FPR est au pouvoir au Rwanda. Les génocidaires sont au Zaïre et tentent de reconstituer leurs forces pour revenir au Rwanda, avec l’aide de la France, puisque la France les entraîne et les réarme dès l’opération Turquoise. A l’automne 1994, les ONG dénoncent la politisation Hutu power des camps de réfugiés. Le terreau pour l'ultime déstabilisation du Zaïre et de la fin du règne de Mobutu est en place.

8 novembre 1994 - En réponse aux nouvelles autorités du Rwanda qui demandent l'aide internationale pour organiser la justice du génocide, création par le Conseil de sécurité de l'ONU, du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui ne sera pas basé au Rwanda, mais à Arusha en Tanzanie . La France défend une restriction temporelle des accusations liées aux seuls faits de 1994, protégeant ainsi ses responsables civils et militaires de toute poursuite judiciaire pour la période antérieure. 

Le même jour, François Mitterrand qui réunit un "sommet Afrique" à Biarritz parle "des génocides au Rwanda". Ce sera le lancement de la campagne négationniste du double génocide, celui des Hutu, non avéré, censé justifier celui des Tutsi. On est loin du discours de La Baule et de l'encouragement à la démocratie !

Un génocide est le parfait contraire de la démocratie, c'est un terrorisme extrême.

La quête de la vérité des faits

Le TPIR est caractérisé par la très grande lenteur de ses travaux, par sa reconnaissance sans ambiguïté du fait du génocide des Tutsi, par le refus du Rwanda que l'on juge autre chose que le crime de génocide, et la contestation notoire de certains de ses jugements par les milieux des rescapés du génocide. Il évite de mettre en cause les complicités internationales et notamment celles de l’Élysée et de l’état-major français. Environ 90 personnes furent jugées, dont les deux-tiers des ministres du gouvernement intérimaires qui furent condamnés à divers titres relatifs au génocide.

Dans la période 1995-2000 plusieurs ONG et institutions internationales publièrent des rapports sur le génocide des Tutsi, certains abordant de façon plus ou moins incisive le rôle de la France. En 1997, le sénat de Belgique s'attacha au rôle de la Belgique, l'ONU en 1999 dans le "rapport Carlsson" s'attacha à son fonctionnement interne relatif à cet événement, sans toutefois froissé les membres permanents du Conseil de sécurité, et l'Union Africaine en 2000 dans le rapport "Le génocide qu'on aurait pu stopper" s'attacha notamment au rôle de la communauté internationale.

Janvier 1998 - Patrick de Saint-Exupéry publie dans Le Figaro une série d'articles qui réactualise les questions sur l'implication de la France dans le génocide des Tutsi.

Mars 1998 - une mission d'information parlementaire française, et non pas une commission d'enquête parlementaire qui aurait eu des pouvoirs juridiques, fut crée pour étudier la politique de la France avant et pendant le génocide des Tutsi. Le juge Bruguière est chargé ce même mois, 4 ans après, de l'enquête sur la mort des pilotes français dans l'attentat du 6 avril 1994 contre le président Habyarimana.

Novembre 2001 - Création du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) qui "a pour objectif premier de déférer devant la justice française les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide contre les Tutsi et qui ont trouvé un accueil souvent trop complaisant sur le sol français.
Depuis sa création en novembre 2001 par Alain et Dafroza Gauthier, le CPCR se bat pour que justice soit rendue aux victimes. Nous sommes convaincus que la justice est un chemin indispensable vers la reconstruction des rescapés et celle du Rwanda. Les personnes qui ont cru pouvoir échapper aux poursuites en se réfugiant sur le territoire français doivent rendre des comptes, sans esprit de vengeance. Même si le temps joue en faveur des bourreaux, nous continuerons à nous battre pour que, par la justice, hommage soit rendu aux victimes."

Mars 2004 - une commission d'enquête citoyenne [1], initiées par l'association Survie avec le concours d'autres associations et de personnalités du monde universitaire, médical, juridique et de la presse, fit le point sur les  éléments qui permettaient d'aller plus loin que le rapport parlementaire français. (Je fus rapporteur du chapitre "Opération Turquoise" de cette commission). Cette commission s'est beaucoup appuyée sur le rapport parlementaire dont elle a reçu un des rapporteurs (Pierre Brana), le livre de Patrick de Saint-Exupéry, L'inavouable, la France au Rwanda,, celui du général Dallaire, "J'ai serré la main du diable" et les articles de plusieurs journalistes. Elle a entendu plusieurs témoins rwandais, français (dont le conseiller du ministre de la défense de l'époque, Jean Chistophe Ruffin), européens et américains.

Fin juillet 2004 - le ministre français Michel Barnier propose au Rwanda un travail de mémoire commun sur le génocide des Tutsi. Début août 2004 le Rwanda répond en annonçant la constitution d'une commission chargée d'étudier l'implication de la France.

Février 2005 - soutenus par la commission française d'enquête citoyenne, des Rwandais portèrent plainte en France contre des militaires de l'armée française. L'objectif était aussi que les enquêtes judiciaires remontent aux donneurs d'ordre. Mais, malgré une magistrate courageuse, Brigitte Raynaud, qui dû passer plusieurs obstacles juridiques inhabituels de la part du parquet pour mettre ces plaintes sur les rails, la plupart des magistrats français ne se sont pas encore montrés à la hauteur de cette tâche dans les décisions finales. Certaines ne sont même pas encore tranchées mi 2023.

Novembre 2005 - l'écrivain Pierre Péan annonce un an à l'avance, dans un livre titré Noires fureurs, blancs menteurs, le contenu de l'ordonnance du juge Bruguière et dénonce, dans au moins trois chapitres dédiés, des responsables de l'association Survie qualifiés de "cabinet noir du FPR en France". Il s'en prend aussi à plusieurs journalistes français. On peut donc penser que ce livre fut motivé par le rapport de la commission d'enquête  citoyenne, les plaintes rwandaise contre la France, les livres et articles parus en 2004 à l'occasion de la dixième commémoration du génocide des Tutsi.

16 novembre 2006 - le juge Bruguière publie  une ordonnance "ayant pour objet la délivrance de mandats d’arrêts internationaux à l’encontre de neuf personnalités officielles rwandaises" les accusant d'être auteur de l'attentat du 6 avril 1994. Cette ordonnance peu rigoureuse fut l'objet de critiques sarcastiques dans les milieux juridiques. Le principal témoin du juge s'accusait d'avoir fait partie du commando des tireurs de l'attentat. Il était entré libre dans le cabinet du juge et en était ressorti libre !

Août 2008 - la commission rwandaise publie son rapport sur l'implication de la France, très mal reçu en France. Il est intéressant de noter que les négationnistes français présentent ce rapport comme motivé par la réponse au juge Bruguière, alors qu'il s'agit en fait de sa réponse à Michel Barnier de 2004. On peut leur accorder qu'elle fut sans doute renforcée par l'ordonnance du juge.

Novembre 2008 - une des accusées du juge Bruguière, Rose Kabuye, fut arrêtée en Allemagne et transférée en France. Les témoins du juge Bruguière s'étant révélés manipulés par l'enquête française, elle est libérée en 2009.

9 décembre 2008 - le jour du soixantenaire de la Convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948, j'ai publié sur le site de la CEC une étude qui montre que la France n'a pas respecté plusieurs articles du  premier accord d'Arusha [2].

Février 2010 - Nicolas Sarkozy reconnait au Rwanda des "erreurs d'appréciation" française et un "aveuglement".

2010 - le chercheur Jacques Morel publia un volume monumental, dans un livre de plus de 1500 pages au format A4 et imprimé de façon très dense, une véritable encyclopédie engagée intitulée La France au cœur du génocide des Tutsi. Cet ouvrage épuisé est régulièrement révisé dans une publication PDF. Il est particulièrement riche en notes de bas de pages. Un site internet [3] l'accompagne où l'on trouve aujourd'hui plus de 16 500 documents d'archives sur le génocide des Tutsi et la dernière révision PDF du livre.

Janvier 2010 - la commission rwandaise présidée par Jean Mutzinzi rend son rapport sur l'attentat du 6 avril 1994. Sur la foi de l'enquête de spécialiste de l'armée britannique, il situe les tirs sur l'avion dans le principal camp militaire du régime rwandais.

2012 - l'ordonnance du juge Bruguière est invalidée par l'enquête de terrain initiée par ses successeurs, les juges Marc trévidic et Nathalie Poux, qui situe les tirs de l'attentat contre Habyarimana dans le principal camp militaire du Rwanda.

Mars 2014 - Premier procès d'un génocidaire rwandais en France, Pascal Simbikangwa (CPCR).
En mars 2014 parait dans la revue universitaire Cités N°57, un dossier qui rassemble plusieurs articles sur cette implication française sous le titre général "Génocide des Tutsi du Rwanda : un négationnisme français ?" [4]
L'éditorial du philosophe Yves Charles Zarka et l'ensemble des articles de ce numéro de la revue Cités permettent de comprendre les éléments qui ont probablement poussé le Président de la République à initier la commission des historiens présidée par Vincent Duclert en 2019. Dans ce dossier, j'ai souligné dans un article intitulé "Les révélations circonscrites d'un rapport parlementaire", les forces et les faiblesses du rapport parlementaire français. On découvrira en 2017 un autre raison qui a du pousser le Président de la République à convoquer la commission Duclert : une enquête d'avocats américains à la demande du gouvernement rwandais.

Décembre 2016 - Condamnation en France de Pascal Simbikangwa pour génocide, "[...] en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale du groupe ethnique tutsi [...]". Son pourvoi en cassation sera rejeté en 2018. D'autres procès d'accusés rwandais de génocide suivront et reprendront cette notion de "plan concerté".

Décembre 2017-On apprend par Jeune Afrique que le cabinet d'avocat états-unien, Levy, Firestone et Muse, spécialisé dans les grandes affaires d’État outre atlantique, publie un rapport préliminaire sur le « rôle des officiels français dans le génocide contre les Tutsis », sur ordre du gouvernement rwandais. Un des associés de ce cabinet est venu en France pour rassembler des documents.

Avril 2021 - la commission Duclert publie son rapport s'appuyant sur une grande partie des archives françaises, dans un contexte technique géré par l'état-major de nos armées, qui conclut sur les "responsabilités lourdes et accablantes" des autorités françaises dans le génocide des Tutsi.  Le cabinet d'avocat états-unien publie aussi son rapport. Ce rapport est plus exhaustif que le rapport Duclert car il ne se limite pas aux archives françaises.[5]

Des points particulièrement graves de cette implication, abordés dans plusieurs articles de ce blog, restent cependant encore inexplorés, ou partiellement explorés.

Dans plusieurs pays, dont la France, des génocidaires furent condamnés au titre de la compétence universelle. Le Collectif des parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) [6] en est la principale cheville ouvrière en France. On doit noter que la France refuse d'extrader des présumés génocidaires au Rwanda au prétexte que les lois rwandaises sur le génocide sont postérieures au génocide. Mais les lois françaises sur le génocide datent de 1996 et s'appuient sur le statut du tribunal pénal international pour le Rwanda qui est aussi postérieur au génocide (8 novembre 1994). Le TPIR a lui-même extradé vers le Rwanda des personnes poursuivies, ainsi que d'autres pays comme le Canada et des pays européens.

A partir des sites internet suivants on peut accéder à tout ce qui concerne l'implication de la France dans le génocide des Tutsi jusqu'à aujourd'hui et notamment tous les autres documents cités dans cette présentation :

  1. Le site de la commission d'enquête citoyenne de 2004
  2. Le "chiffon de papier", du premier accord d'Arusha à la rébellion des autorités de la France au Rwanda
  3. Le site francegenocidetutsi.org
  4. Revue Cités N° 57 PUF 
  5. La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) - Rapport remis au Président de la République dit rapport Duclert
    Rwanda releases LFM investigation report on the role of the french governement in the genocide against the Tutsi, in Rwanda dit rapport Muse
  6. Collectif des parties civiles pour le Rwanda  
  7. Le site de l'association Survie France


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