Retraites : mon coup de gueule contre ma génération !


Un retraité, qui continue de travailler alors qu’il touche une allocation de retraite en-dessous du minimum vieillesse, devrait avoir ses nouvelles cotisations de retraite décomptées jusqu’à la cessation définitive de son activité. Cela lui permettrait de toucher alors un sur-complément de retraite en conséquence. C'est une question de justice.

Je voudrais vous parler d’une situation que je fais mienne aujourd’hui. Par cette situation, voilà ce que je vois de ma lucarne. Si la longueur de ce texte vous décourage vous pouvez vous contenter du chapeau de cet article.

Un ami très proche, de ma génération, a touché très exactement 749 € de retraite par mois en 2022. Il a pris sa retraite le 1 janvier 2022, à presque 72 ans. A 73 ans bientôt, il continue de travailler comme auto-entrepreneur. Il a dégagé environ 12000 € de revenus brut en 2022. Cela peut être plus selon les années. Il a donc compris qu’il ne peut pas prétendre au minimum retraite à cause de ce cumul emploi/retraite. Avec environ 1500 € de revenus nets (retraite + revenus professionnels nets) il s’en sort. Sa femme qui a 63 ans, travaille toujours comme cadre C dans la fonction territoriale.

S’il touche une si faible retraite, c’est parce qu’il a accumulé les situations où le décompte des trimestres est annulé ou tout simplement où il n'avait pas de revenus. Une carrière hachée de toute évidence.

Au lycée cela ne marchait pas bien. On l’avait envoyé dans un centre médico-psycho-pédagogique à Paris, où on lui avait fait passer des tests pour comprendre ses difficultés et on lui avait affirmé qu’il pouvait faire « Normale supérieure dans toutes les matières » et que son échec scolaire n’était pas « normal ».  Normal inférieur sans doute !

Dès son plus jeune âge il avait aussi en lui la conviction qu’il ne devait pas faire son service militaire : il ne se voyait pas prendre une arme pour tuer, même un ennemi. Il était chrétien.  Il a décidé de devenir objecteur de conscience après avoir multiplié les inscriptions en fac pour être sursitaire et repousser sa décision jusqu'à ce qu'il découvre le statut d’objecteur de conscience. Mais il ne se sentait pas à l’aise à l’université. C’était un problème personnel probablement lié à son contexte familial. Il l'analysait aussi comme étant la cause de l'incohérence du milieu enseignant. Il est probable qu'il y avait des deux en cette période qui suivi 1968. Aujourd'hui il dit qu'on l'aurait diagnostiqué autiste à notre époque !

Bref, à environ 25 ans, après avoir fait en parallèle des petits boulots qui ne l'ont pas convaincus, et dont il s’est fait jeter avant terme pour l’un d’eux pour les raisons éthiques qu’il soutenait, il s’est tourné vers une formation professionnelle à l’AFPA. A l’issue de cette formation, l’entreprise dans laquelle il avait fait son stage lui proposa un emploi dans une entreprise cliente.

C’était un CDD qu’il n’a pas pu conduire à son terme là encore pour des raisons éthiques : toutes les femmes du service administratif étaient payées en dessous du minimum prévu par la convention collective. On n'était pas encore à notre époque ! Dans sa candeur il en parla dans le service. Le chef de service l’avait embauché contre l’avis de son patron et il se sentait en porte à faux à cause de mon ami. Il l’a donc viré avant la fin du CDD. L’entreprise qui l’avait placé là lui a proposé un autre poste, mais il était tellement en colère et dégouté qu’il a refusé. Mon ami a décidé de se mettre à son compte à la chambre des métiers dans un domaine qui l’intéressait et pour lequel il avait des activités bénévoles.

Mais mon ami n’avait pas de sens commercial et son activité ne lui permettait pas de gagner convenablement sa vie. Il arrêta au bout de 7 ans.

Après une brève période de chômage, (trois ou quatre mois), il revint alors à son métier pour lequel il avait été formé à l’AFPA. Il tomba sur une entreprise où il rencontra à nouveau de graves distorsions éthiques qu’il refusa d’endosser et fut à nouveau viré au bout d’un an. S’en suivi une cascade de déboires familiaux, son ex-épouse gagnant correctement sa vie et lui reprochant de « ne pas s’intégrer ». Après qu’elle ait trouvé une aventure sentimentale à sa convenance qui fit basculer le couple, il semble que mon ami ait perdu patience à cette occasion et elle décida de divorcer.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à le fréquenter et que je découvris son histoire.

Une période très difficile commença pour lui. Il vivait très mal ce divorce. Il lui est arrivé de manger pendant plusieurs semaines chaque jour à chaque repas un sandwich avec une tranche de tomate et une tranche de jambon. Il roulait à 60 km/heure sur les routes départementales et nationale pour économiser de l’essence.

Il finit néanmoins au bout de deux ans par retrouver plusieurs emplois simultanés à temps partiel, mais tous en CDD, qui lui donna une période où il gagna enfin plus que  correctement sa vie pendant deux autres années. Une année il gagna même 160 000 francs. Soit l’équivalent de 24 000 € à l’époque qu’il faudrait actualiser en monnaie constante. L’emploi a mi-temps le plus rémunérateur, après trois CDD dans deux entreprises du même groupe pris fin et un CDI lui fut proposé mais avec une perte de rémunération de 20 %. Il refusa. Bien mal lui en a pris.

Toutefois il décida de changer de région et d’aller dans une région où le taux d’emploi était l’un des meilleurs de France. Mais il galéra pendant trois ans sans trouver de boulot et en profitant pour suivre  trois formations professionnelles. Il désespérait, ses allocation de chômage avaient pris fin après avoir été diminuées progressivement, et il décida finalement de se remettre à son compte dans un autre domaine que la première fois. Sa deuxième épouse le largua à ce moment-là. Ses revenus furent aléatoires, mais en clopinant il arrivait quand même à vivre, mais en étant parfois dans l’impossibilité de payer sa pension alimentaire à cause des charges sociales obligatoires, même quand le chiffre d’affaire était  inférieur au minimum des cotisations à payer.

Parallèlement, sa fibre d’objecteur de conscience et éthique aidant, il milita contre « la Françafrique » et notamment, comme moi, contre l’implication de la France au Rwanda et sa complicité dans le génocide des Tutsi. Son militantisme fut relativement notoire. Bizarrement, son activité perdit alors des clients et pendant trois ans il fut coincé entre un chiffre d’affaire en berne et des cotisations sociales incompressibles. Je ne comprends pas pourquoi il n’a pas décidé d’arrêter plus tôt son activité, si ce n’est qu’il avait 55 ans et plus et que dans son activité c’était un vrai handicap de chercher du travail salarié à cet âge. Il espérait encore s'en sortir ainsi.

Il fut dans l’impossibilité de payer sa pension alimentaire et fut poursuivi. La justice « familiale » le condamna  à de la prison avec sursis. Ce fût un choc profond, un sentiment d’injustice insondable. Un sentiment de harcèlement profond et implacable, d’autant plus que plusieurs magistrats s’étaient montrés particulièrement sarcastiques et culpabilisants à l’audience à laquelle j’ai assisté. Je comprenais sa révolte.

Bizarrement quelques temps avant son procès il avait trouvé par hasard un CDD de trois mois très rémunérateur dans une multinationale. Ce fut probablement  perçu comme la preuve qu’il avait fait exprès d’organiser son impécuniosité. Là-dessus arriva le statut d’autoentrepreneur  qui associait les cotisations sociales à un pourcentage du chiffre d’affaire. Son rêve. Il se mit à nouveau à son compte jusqu’à aujourd’hui.

Aujourd’hui en retraite, il paye donc des cotisations de retraites pour ses « conscrits » qui l’ont parfois jeté de l’emploi pour des raisons éthiques et touchent des retraites confortables. Ses conscrits amoraux de sa génération lui font payer l’argent du beurre car les cotisations de retraites, qu’il paye encore aujourd’hui, ne lui permettent pas d’augmenter ses droits à la retraite, qu’il a prise un mois avant d'avoir 72 ans. Avec 749 € de retraite mensuelle, cela me semble radicalement excessif comme injustice. Voilà mon coup de gueule. Est-il besoin de le crier pour qu’il soit entendu ? Le pire est qu’il se fait parfois traiter de cumulard qui prend le travail des jeunes.

Le paradoxe, c’est que mon ami dit qu’il n’est pas à plaindre car il ne travaille pas à temps plein et qu’il peut donc bénéficier de moments où il profite de sa retraite, qu’il a plus de ressources qu’avant sa retraite et que quand il ne pourra plus travailler il ne pourra plus non plus avoir des activités de loisirs qui nécessitent plus d’argent.  C’est un peu court et trop optimiste, car il peut être dans une situation de handicap qui nécessite plus d’allocations de retraite.

Un retraité, qui continue de travailler alors qu’il touche une allocation de retraite en-dessous du minimum vieillesse, devrait avoir ses nouvelles cotisations de retraite décomptées jusqu’à la cessation définitive de son activité. Cela lui permettrait de toucher alors un sur-complément de retraite en  conséquence. C'est une question de justice.

 

 

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