« Rwanda Classified » : une enquête problématique sous des apparences sérieuses

Le magazine Jeune Afrique du 4 Juin 2024 a publié la tribune suivante à propos de l'enquête Rwanda classified [1] :

« Rwanda Classified » : une enquête à charge ? [2]

Cette tribune est signée par 32 signataires hautement crédibles. Le moins que l'on puisse dire à la lecture de ce texte est qu'on a affaire dans ce « Rwanda Classified » à une "faillite journalistique". Ce dossier  rappelle les sempiternelles rodomontades de l'ancien secrétaire général de l'Elysée de 1994. Qu'un tel aréopage de journalistes et de médias réputés  tombe au niveau de la presse gouvernementale russe sur l'Ukraine est affligeant. Mais ceux qui connaissent le Rwanda savent à quel point la presse occidentale est approximative sur le Rwanda en particulier et sur l'Afrique en général.

Citations :

"Sources biaisées :
Aussi l’annonce des « Forbidden Stories » a-t-elle suscité une grande attente pour l’accès à des faits solides et authentifiés, une occasion enfin d’échapper à ces procès de propagande. Las, « Rwanda Classified » a répété les travers des précédents dossiers d’accusation au point que l’on peut s’interroger sur un accident, voire une faillite journalistique. [...)
Les conclusions des 50 confrères et consœurs mobilisés pour cette enquête fleuve dressent le portrait d’un régime de terreur parmi les plus dangereux du monde, et en tout cas le plus menaçant d’Afrique. Cette vérité serait admissible si les informations livrées comportaient les révélations nécessaires à la validation de l’analyse. Or, ce n’est pas le cas. Souvent anciennes, procédant par supposition et par glissement sémantique plus que par démonstration, elles se rapportent à des sources pour la plupart très biaisées, présentées sans être situées ni contextualisées alors qu’elles constituent le fond de commerce des réseaux complotistes et des auteurs négationnistes du génocide des Tutsi.
Habitués au travail scientifique et à l’indépendance de l’enquête, nous ne pouvons laisser se diffuser sans réagir un dossier qui déconsidère les exigences que nous mettons dans l’exercice de la connaissance. Que des auteurs négationnistes patentés comme Charles Onana ou Judi Rever prennent rang d’informateurs sérieux pour les 17 médias partenaires de « Forbidden Stories », que la contestation de leur thèse devienne un élément à charge du régime de Kigali, qu’un présumé génocidaire tel que Charles Ndereyehe puisse se présenter en victime, que l’entretien final du dossier se transforme en opération promotionnelle du « défenseur des droits de l’homme et héros du film Hotel Rwanda, Paul Rusesabagina, » alors que rien n’est plus inexact, démontrent la manipulation à laquelle s’est prêté « Rwanda Classified ».
"

En Belgique des avocats de rescapés du génocide ont envoyé un courrier critique au journal Le Soir qui est un acteur de l'enquête controversée  « Rwanda Classified ». Le Soir du 3 juillet 2024 publie ce courrier et sa réponse [3]:

Contre le négationnisme, soyons vigilants !

La réponse du journal belge Le Soir se focalise sur des justifications secondaires et faciles au regard de la Tribune française citée ci-dessus. Mais il faut reconnaître que ces justifications, à côté de l'essentiel, semblent facilitées par le courrier des avocats qui ne nomment personne à l’appui de leurs propos. Citation :

"La distance critique qui s’impose à l’égard des autorités rwandaises comme à l’égard de toute autorité étatique est en soi légitime. Les accusés s’en servent quant à eux systématiquement pour tenter de se disculper. Ils le font devant les tribunaux, dans la presse et sur les réseaux sociaux. Comme si le comportement des autorités rwandaises actuelles pouvait annuler leur participation coupable dans le génocide des Tutsis en 1994.
Nous nous inquiétons de ce que les jeunes générations, qui n’ont pas vécu le génocide, puissent être plus facilement abusées."

Certes il est tentant de reconnaître apparemment dans ce courrier "ce professeur [qui] est réputé pour sa proximité avec l’ancien régime rwandais". Il avait rédigé la constitution rwandaise du régime devenu génocidaire. Il semble qu'il s'agisse de l'auteur d'un livre de la collection "Que sais-je ?" très controversé sur le génocide des Tutsi [4]. Mais ce professeur ne semble pas être évoqué directement dans la version actuellement en ligne du dossier "Rwanda classified". Peut-être était-ce dans la version publiée dans les journaux ?

L'enquête "Rwanda Classified" mélange deux problématiques : elle utilise des négationnistes du génocide des Tutsi pour justifier des enquêtes contre le pouvoir actuel de Kigali suspecté de traques contre des journalistes. Cela renforce immanquablement la position des négationnistes et accentue le caractère hypocrite et partisan de l'enquête en question... et donc de la position du journal Le Soir qui fait partie des acteurs de cette enquête, comme le journal Le Monde en France et d'autres journaux prestigieux à travers le monde occidental.

Il est parfaitement légitime d'enquêter sur la recherche des auteurs du sort de journalistes "menacés, emprisonnés, assassinés". Mais cela doit être fait avec des témoins moins disqualifiants et plus honorables que ceux cités dans la tribune française sur l'enquête "Rwanda Classified", et avec des méthodes sérieuses.

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  1.  L'enquête Rwanda Classified Forbidden stories
  2. « Rwanda Classified » : une enquête à charge ? Jeune Afrique 4 juin 2024
  3. Contre le négationnisme, soyons vigilants ! Le Soir 3 juillet 2024
  4. Les malversations intellectuelles du professeur Reyntjens
    Survie 25 septembre 2017

 

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